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Nous citerons encore le récit de la Correspondance secrète, parce que ce rapprochement nous a semblé présenter quelque intérêt :


Depuis samedi dernier le Journal de Paris est supprimé, pour une cause si légère, et en même temps si extraordinaire, que le public en a cherché une autre, mais vainement. Une chanson du chevalier de Boufflers, faite il y a douze ou quinze ans, sur son ambassade auprès de la princesse Christine, abbesse de Remiremont, chanson imprimée dans vingt recueils avec approbation et privilége du roi, a été la véritable cause de cette suppression, parce que le Journal de Paris l’a citée d’après un ouvrage intitulé Les Saisons littéraires, imprimé au mois de mars dernier. On a représenté au roi que, la princesse Christine étant sa tante, cette chanson était licencieuse, quoique la princesse ne fût point nommée, et par ce tapage on a donné à la chanson une célébrité qu’elle n’avait point encore eue. Le public, privé du journal, a jeté les hauts cris. M. le garde des sceaux, en conséquence d’un ordre exprès du roi, avait révoqué le privilége ; mais ce magistrat a représenté ensuite à S. M. que ce qu’on lui avait montré comme un manque de respect punissable n’était qu’une inconsidération innocente, et le roi a reçu cette représentation avec bonté, de sorte qu’on espère que le journal reprendra son cours avant la fin de cette semaine.

Si c’étaient des courtisans gens de lettres, et trop instruits ou trop puissants pour n’être pas disposés à l’indulgence, qui eussent provoqué cette suppression, il serait à désirer que ces messieurs ne suivissent pas la carrière des lettres, où leurs jalousies sont si dangereuses. Dans le beau siècle de Louis XIV, les Montauzier, les La Rochefoucauld, cultivaient les lettres et protégeaient les lettrés, et c’est tout ce que les courtisans doivent se permettre : car, si une fois ils y introduisent leur esprit de rivalité, les écueils de la carrière deviendront assez terribles pour en écarter tous ceux qui pensent, et qui ont besoin de repos pour rendre leurs pensées utiles à leur siècle et à la postérité.