XVI
Dis, n’es-tu pas, sous les traits que j’adore,
De ces fantômes que souvent
La canicule en brûlant fait éclore
Au front du poète rêvant ?
—
Non, je me trompe ; — une enfant si parfaite,
Ce front charmant, ce teint vermeil,
Et cette bouche, et ces yeux, — le poète
Renonce à chef-d’œuvre pareil,
—
Le basilic, le dragon, le vampyre,
Noir troupeau que l’horreur conduit,
C’est ce qu’à l’heure, où la muse l’inspire,
Sa cervelle en travail produit.
—
Mais à créer, avec ses trucs perfides,
Ta malice à l’air innocent,
Et tes regards si traîtres et candides
Le poète reste impuissant !
XVII
Comme Vénus quittant l’onde écumeuse,
Elle rayonne en sa beauté ;
Pour la conduire à sa noce joyeuse,
Un autre marche à son côté.
—
Tais-toi, mon cœur ! cet amère pensée
Me ferait perdre la raison ; —
Souffre et pardonne à la chère insensée
Son incroyable trahison.
XVIII
De mon cœur qui te perd s’accomplit l’infortune ;
Il se brise, et pourtant il n’a pas de rancune ; —
Un trésor de joyaux sur ta tête reluit ;
Nul rayon de ton cœur n’illumine la nuit.
—
Je le sais ; je t’ai vue apparaître en un songe ;
De tes jours désolés j’ai sondé le mensonge !
J’en ai vu tout l’abîme, où, sinistre vainqueur,
Un serpent, dans la nuit, te dévore le cœur !
XIX
T’en pourrais-je vouloir, moi qui sais que ta vie
Est un gouffre pareil à mes jours désastreux ? —
Jusqu’à l’heure où la tombe au sommeil nous convie,
Nous resterons misérables tous deux.
—
Un sourire moqueur sur tes lèvres voltige ;
On peut voir sous l’éclat insolent de tes yeux,
Ta poitrine superbe étaler son prestige :
— Comme le mien, ton cœur est malheureux.
—
Ta bouche en vain s’efforce à voiler ta souffrance ;
Une larme secrète a terni tes beaux yeux ;
Ton sein gonflé d’orgueil est vide d’espérance,
Et nous restons misérables tous deux !
XX
De ma belle aujourd’hui c’est la noce ; — on entend
Le bal triomphant qui commence ;
Elle y danse, folâtre, et l’orchestre éclatant
Excite sa valse en démence.
—