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ANNÉE 1573.

1573. — 6 mars.

Orig. – Arch. de famille de M. d’Espalungue, maire de Louvies-Juzon et président de la commission de la vallée d’Ossan. Copie transmise par M. Jubé, sous-chef de bureau au ministère de l’Instruction publique.


[AU CAPITAINE D’ESPALUNGUE.]

Capitaine d’Espalungue, Vous avés peu entendre comme j’ay estably monsr de Gramont[1] mon lieutenant general, auquel j’ay recommandé sè retirer en mes pays souverains pour contenir mes subjects en paix et tranquilité, regler et composer toutes choses pour la conservation de mon estat et bien public. A quoy je veulx et entends qu’il soit assisté de ceulx qui me sont fideles et loyaux serviteurs,

  1. Antoine d’Aure, vicomte d’Aster, fils de Menaud d’Aure et de Claire de Gramont, substitué aux nom et armes de Gramont, fut nommé lieutenant général du roi de Navarre par suite de l’édit du 16 octobre 1572, qui ordonnait partout le rétablissement et le seul exercice de la religion catholique dans ses états. La contrainte qui imposait cette mesure au roi de Navarre était évidente. Toutefois peut-être crut-il pouvoir concilier le respect de son autorité avec un acte si contraire aux sentiments de ses sujets, en choisissant, d’accord avec la cour, un gentilhomme très-attaché à sa maison comme le comte de Gramont, et qui s’était vu obligé également d’abjurer à la Saint-Barthélemy. Mais les Mémoires de l’Estat de France (t. Ier, fo 557 verso), après avoir donné l’édit en question ajoutent : « Les sujets du roi de Navarre, sachant bien que leur prince estoit captif, et qu’il n’avoit serviteur aucun autour de soy qui ne luy fust un espion aposté par le conseil secret qui avoit forgé ce bel édict, ne se soucièrent de cela, ains par moyens legitimes se tenant sur leurs gardes, se maintinrent (nonobstant diverses algarades) en l’estat auquel la Royne [Jeanne d’Albret] les avoit laissez : esperans que si Dieu faisoit la grace au Roi de sortir de prison, il leur tiendroit un langage directement contraire. » Les Béarnais portèrent cette résistance jusqu’aux violences les plus graves. Le baron d’Arros, excité par son vieux père, massacra toute l’escorte du comte de Gramont, dans la cour même de son château d’Hagetmau, et Gramont ne dut la vie qu’aux larmes et à l’éloquence de sa belle-fille, Corisande d’Andouins, qui tiendra bientôt une si grande place dans cette première période de la correspondance de Henri.