Page:Hobbes - Œuvres philosophiques et politiques (trad. Sorbière), 1787.djvu/298

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui aillent au-devant de ce mal et qui attaquent les erreurs mêmes, plutôt que ceux qui les embrassent. Mais ces erreurs que j’ai dites au chapitre précédent, incompatibles avec le repos de l’État, se glissent dans les esprits du vul­gaire, en partie par l’éloquen­ce des prédicateurs qui les sèment du haut de leurs chaires, en partie par les entretiens ordinaires des personnes qui ont eu le moyen de s’adonner aux études et qui en ont été abreuvées dès leur jeunesse, par leurs maîtres dans les académies publiques. C’est pourquoi si quelqu’un voulait à son tour introduire de plus saines doctrines dans l’État, il devrait commencer par la réformation des Académies. Ce serait là qu’il faudrait jeter les vrais fondements de la politique sur des démonstrations infaillibles et dont la jeunesse étant une fois imbue, elle pourrait ensuite instruire le vulgaire en public et en particulier. Ce qu’aussi elle ferait d’autant plus volontiers et avec plus de vigueur, qu’elle serait plus assurée de la vérité de ce qu’elle dit et de la solidité de ce qu’elle enseigne. Car, puisque la coutume fait recevoir certaines propositions, dont on nous a battu les oreilles dès notre enfance, quoiqu’elles soient fausses, et aussi peu intelligibles que si l’on en avait tiré les paroles au hasard, les rangeant en l’ordre qu’elles sortiraient de l’urne ; combien plus de force aurait cette même coutume de persuader aux hommes des doctrines véritables, conformes à la raison et à la nature des choses ? J’estime donc que c’est du devoir des souverains de faire dresser de vrais éléments de la doctrine civile, et de commander qu’on les enseigne en toutes les Académies de l’État.


X. J’ai fait voir qu’en second lieu la fâcherie qu’on a de se voir pauvre dispose merveilleusement les esprits à la sédition ; or, bien que la pauvreté vienne souventes fois du luxe et de la paresse des particuliers, on l’impute pourtant à ceux qui gouvernent l’État, comme si l’on était épuisé par leurs impositions. A la vérité, il peut arriver quelquefois que cette plainte n’est pas tout à fait injuste, à savoir quand les charges publiques ne sont pas portées également par le peuple : car le fardeau qui serait léger, si tous ensemble le soutenaient, devient pesant et insupportable à ceux qui le supportent, lorsque plusieurs s’en soustraient. Et d’ordinaire ce n’est pas tant de sa pesanteur dont on se fâche, que de l’inégalité de la peine. Car on dispute fort ambitieusement de cette dispense et ceux qui en jouissent sont enviés des autres, qui se tiennent beaucoup moins heureux. Afin donc d’ôter ce sujet de plainte, il impor­terait à la tranquillité publique, et par conséquent, il serait du devoir des magistrats, de faire supporter également les charges publiques. D’ailleurs, vu que ce que les sujets contribuent pour le public n’est autre chose que le prix dont ils achètent la paix, il serait raisonnable, que ceux qui participent également au bien de la paix contri­buassent également de leurs moyens ou de leur travail pour le bien de la république. C’est une loi de nature (suivant l’art. XV du chapitre III) que chacun se montre équitable à tous en distribuant la justice aux autres ; de sorte que cette même loi oblige les souverains, de départir également sur leurs sujets les taxes et les impositions qu’il faut accorder aux nécessités publiques.


XI. Or, j’entends ici par cette égalité, non qu’une égale somme d’argent soit exigée de chacun, mais que le fardeau soit supporté également, je veux dire, qu’il y ait de la proportion entre les charges que l’on paie, et les bénéfices que l’on retire. Car, encore que tous jouissent également de la paix, ils n’en ont pas tous un égal avantage ; vu l’inégalité des biens et des revenus que chacun possède ; outre que les uns dépensent plus que les autres. Sur quoi il se peut former cette question, si les particuliers doivent contribuer au public à raison de leur gain, ou à raison de leur dépense, c’est-à-dire, si les taxes doivent être faites en sorte que chacun paie selon ses facultés, ou si chacun doit être taxé à proportion de sa dépense. Mais, si nous considérons que là où les taxes sont faites à proportion des facultés, ceux qui ont gagné également ne jouissent pas d’un égal revenu ; parce que l’un peut conserver avec épargne, ce que l’autre dissipe bientôt par ses débauches ; et qu’ainsi,