Page:Hoefer - Biographie, Tome 44.djvu/169

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

313

Qui me donna de cette vie la première source native,

Quoique d’une autre place j’aie pris mon nom, Une maison d’ancien renom.

Spenser élait donc de Londres , et se rattachait, on ne sait par quel lien de parenté, à l’ancienne famille des Spenser. Le 20 mai 1569 il fut admis au collège de Pembroke, à Cambridge ; le 16 janvier 1573 il fut reçu bachelier es arts et le 26 juin 1576 maîlre es arts. A l’université il se lia avec Gabriel Harvey et avec Edmond Kirke. N’ayant pu obtenir une place d’agrégé (fellow)’a. Pembroke-Hall , il quitta Cambridge en 1576, et se rendit dans le nord de l’Angleterre, pour visiter sa famille, qui, à ce que l’on croit , était établie à Hurstwood, dans le comté de Lancaster. Il avait déjà débuté comme poète dès 1 569, par quelques traductions de Du Bellay et de Pétrarque, insérées dans le Théâtre for voluptuous worldlings de Jobn van derNordt : La vie retirée qu’il mena au sortir de l’université développa son goût pour la poésie. Il commença son Calendrier du berger ou les Raisons du berger (Shepheard’s Calendar), poème pastoral, où il chante son amour pour la belle Rosalinde. Cette passion rappelle celle que Pétrarque a immortalisée. Comme laLauredu poète italien, Rosalinde est une personne à la fois réelle et idéale. On ne doute pas qu’elle ait existé, mais on ne sait rien de sa famille et on ignore jusqu’à son nom. La passion de Spenser était chevaleresque et loyale, et quoique non accueillie, elle fut constante ; treize ou quatorze ans plus tard, dans un très-beau passage de son Retour de Colin Clout, il se vantait de « mourir sien ».

Harvey, son camarade de collège, l’invita à venir à Londres, en 1578, et le présenta à Philippe Sidney, patron généreux des lettres. Par Sidney il fut introduit auprès du comte de Leicester, et peut-être obtint-il une place dans la maison de ce seigneur. En 1579 parut le Shepheard’s Calendar avec une introduction et des notes parE. K., sans doute Edmond Kirke. Le commentaire n’était pas de trop, car le Calendrier du berger, où Spenser a reproduit la diction surannée de Chaucer, et imité les subtilités du style de Pétrarque , devait être difficile à comprendre, même pour les contemporains. Les dix ans qui s’étaient écoulés entre la publication des premiers vers de Spenser dans le Théâtre for voluptuous worldlings et l’apparition du Calendrier du berger avaient été remplis, outre les études académiques, par diverses compositions en prose et en vers, qui ne sont pas venues jusqu’à nous ; les unes, comme les Légendes et la Cour de Cupidon, semblent être entrées pius tard dans la Fairy Queen ; d’autres, comme le Pélican mourant, les Sleminata Dudleiana, sont perdues.

Deux Lettres à Gabriel Harvey, qui parurent en 1580, avec des lettres d Harvey lui-même, SPENSER 314

contiennent d’intéressants détails sur le poète, alors âgé de vingt-sept ans. Ou y voit qu’il était dans de bons termes avec Sidney et Dyer, qu’il songeait, comme eux et comme Harvey, à introduire dans la poésie anglaise les formes de la versification latine, qu’il avait composé neuf comédies et une partie de sa Fairy Queen , et qu’il espérait dans ce poème surpasser l’Ariosle. Harvey ne partageait pas cet espoir, et il engagea son ami à renoncer à cette composition. On regrette d’avoir si peu de renseignements sur les relations de Sidney et de Spenser ; l’un était un grand seigneur, l’autre un grand poète , mais tous deux étaient de nobles cœurs, des esprits généreux , pleins d’enthousiasme pour la chevalerie. Sidney, de deux ans ans plus jeune, était alors dans tout l’éclat de la gloire et de la faveur. Ce fut très- probablement par sa protection que Spenser ohtint, en 1580, la place de secrétaire de lord Grey de Wilton, lord lieutenant d’Irlande. Le poète passa dès lors une grande partie de son temps à Dublin. L’Irlande, soumise mais frémissant sons le joug, était traitée par les Anglais en pays conquis. Les grands seigneurs indigènes voyaient leurs propriétés confisquées passer aux mains des envahisseurs. Spenser eut pour sa part, dans les dépouilles du comte de Desmond, 3,028 acres de terre avec le manoir de Kilcolman. La patente de concession estdatéedu 25octobre 1591, mais la concession elle-même remonte à 1586. Le manoir de Kilcolman était situé dans le comté de Cork, au bord d’une petite rivière appelée la Mulla et au milieu d’un paysage magnifique. Une habitation dans un beau site fut à peu près tout l’avantage que Spenser retira de cette concession ; il n’avait aucun moyen de mettre en culture des terres dévastées et désertes. Aussi le voit-on bientôt solliciter de la reine Elisabeth des faveurs plus lucratives. Mais son protecteur, Sidney, venait de mourir dans la campagne des Pays-Bas ; le poète pleura cette perte irréparable dans de tendres et admirables élégies : les Ruines du temps, Astropkel. Faiblement appuyé à la cour, il n’obtint que la place, assez modique, de secrétaire du conseil de Munster, en 1588. En attendant unemeilleurefortune,il continua son poème. Le sort sembla enfin lui sourire en amenant aux bords de la Mulla, en 1589, sir Walter Raleigh, qui avait eu une part bien plus large des dépouilles de Desmond , et qui venait visiter ses domaines, douze ou quinze fois plus étendus que ceux de Spenser, mais à peu près aussi improductifs. Il faut lire dans le Retour de Colin Clout l’histoire de la rencontre du berger de la Mulla et du pasteur de l’Océan, racontée sous le gracieux déguisement de la pastorale. Raleigh emmena Spenser à Londres, et le présenta à la reine Elisabeth, qui lui donna une pension de 50 liv., somme considérable pour le temps, et suffisante pour le faire vivre, si elle eût été régulièrement payée. Les trois premiers