Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/238

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jusqu’à un certain point les manières rudes et impérieuses du baron qui se manifestaient chaque jour davantage. Il fit à peine attention à moi, et me traita comme un commis vulgaire. Il chercha de prime abord à signaler des erreurs sur le premier acte que je rédigeai ; le sang bouillonnait dans mes veines, et j’étais sur le point de lui répondre quelque mot aigre quand mon grand-oncle intervenant déclara que je travaillais toujours d’après ses idées, dont il était prêt à soutenir la précellence, seulement, dit-il, en fait de matières judiciaires.

Quand j’étais seul avec mon grand-oncle, je me plaignais amèrement du baron qui me devenait de jour en jour plus antipathique. « Crois-moi, répondit mon grand-oncle, le baron, malgré ses manières rébarbatives, est un des meilleurs hommes du monde ; du reste il n’a contracté ces façons d’agir que depuis qu’il est titulaire du majorat, et c’était dans sa jeunesse un modèle de douceur et de modestie. D’ailleurs il n’est pas si méchant que tu te plais à le dire, et je voudrais bien connaître la cause secrète de ta répugnance. »

Mon grand-oncle, en prononçant ces derniers mots, me regarda avec un sourire plein d’ironie, et je sentis le sang me monter au visage. Ne fallait-il pas enfin me rendre à l’évidence ? Ne me voyais-je pas obligé de m’avouer à moi-même que cette haine étrange n’avait d’autre mobile que l’amour, ou plutôt l’adoration pour un être qui me paraissait le plus admirable et le plus ravissant de tous ceux qui jamais avaient pu séjourner sur la terre.