Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Le baron était le seul qui, outre moi, eût abattu un loup, et les autres chasseurs étaient contraints, tout en attribuant leur mauvais succés à l’obscurité et à la neige, de se rejeter sur les récits effrayants de leurs dangers et de leurs triomphes passés.

Je croyais sincèrement avoir droit aux éloges et à l’admiration de mon grand-oncle, et c’est en vue de les obtenir que je lui racontai mon aventure assez prolixement, sans oublier surtout de lui peindre avec des couleurs énergiques l’aspect féroce et sanguinaire du loup furieux. Mais le vieillard me rit au nez, et se contenta de dire : « Dieu est puissant dans les faibles ! »

Fatigué de boire et de jaser, je quittai le salon, et j’approchais de la Salle des Chevaliers, lorsque j’aperçus, marchant devant moi dans le corridor, une figure blanche qui portait un flambeau. J’avance, et je reconnais mademoiselle Adelheid. — « Faut-il donc courir la nuit comme un spectre, comme une somnambule, pour vous rencontrer, mon brave chasseur de loups. » Elle me dit cela d’une voix très basse, et me prit en même temps les mains. Les mots de spectre, de somnambule, prononcés ainsi dans ce lieu, me tombèrent lourdement sur le cœur : ils me rappelèrent les apparitions terribles de ces deux nuits fatales, et mes impressions matérielles étaient complices de ce souvenir ; car justement le vent de la mer gémissait sur des tons d’orgue sourds et confus, et sifflait avec fureur contre les vitraux, à travers lesquels la lune projetait une lueur blafarde sur le pan de mur mystérieux où l’horrible