Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/30

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qu’il faudra quitter irrévocablement demain matin. »

Pendant toute la route ni le chevalier, ni Vertua ne prononcèrent une seule parole. — Arrivés à la maison de la rue Saint-Honoré, Vertua tira la sonnette. Une vieille femme ouvrit aussitôt et s’écria, à la vue de Vertua : « Ô bon Jésus ! vous voilà enfin, signor Vertua ! Angela est pour vous dans une inquiétude mortelle !…

— Silence ! répliqua Vertua, fasse le ciel qu’Angela n’ait pas entendu la malheureuse sonnette ! il faut qu’elle ignore que je suis rentré. »

En parlant ainsi, il prit des mains de la vieille consternée le flambeau à branches qu’elle portait, et éclaira le chevalier en marchant devant lui jusqu’à l’appartement du premier.

Là, Vertua s’adressant au chevalier lui dit : « Je suis résigné à tout, chevalier ; je ne vous inspire que haine et mépris : ma ruine cause votre plaisir et celui d’autrui, mais vous ne me connaissez pas. — Apprenez donc que je fus autrefois un joueur comme vous, que le bonheur capricieux me fut tout aussi favorable qu’à vous, que j’ai parcouru la moitié de l’Europe, m’arrêtant partout où je trouvais l’appât d’un jeu riche et l’espoir d’un gain considérable, que l’or enfin s’amoncelait partout à ma banque comme il afflue à la vôtre. J’avais une femme aussi vertueuse que belle, et je la négligeais, et elle était malheureuse au milieu des satisfactions du luxe. — Il arriva un soir à Gènes, où je tenais une banque, qu’un jeune Romain perdit contre moi la