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Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/31

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totalité de son riche patrimoine. Il me pria, de même que je le fais aujourd’hui, de lui prêter au moins de quoi subvenir à son retour dans sa patrie. Je le lui refusai avec un sourire ironique, et lui, dans l’égarement de son désespoir furieux, me porta dans la poitrine un coup violent de son stylet. Ce fut avec peine que les médecins parvinrent à me sauver, et mon état de souffrance fut long et pénible. Ma femme me prodigua des soins assidus, me consolant, soutenant mon courage prêt à succomber à l’excès de mes douleurs ; et je me sentis pénétré d’un sentiment inconnu que chaque jour de ma convalescence rendit plus puissant en moi. Le joueur finit par devenir étranger à toute émotion naturelle, et j’ignorais encore ce que c’était que l’amour, et le tendre attachement d’une femme dévouée. Au souvenir de mes torts et de mon ingratitude envers la mienne, à la pensée de la vie criminelle à laquelle je l’avais sacrifiée, mon cœur était rongé de remords. Je voyais m’apparaître, comme autant de fantômes vengeurs, tous ceux dont j’avais tué le bonheur et ruiné l’existence avec une indifférence atroce, et j’entendais leurs voix rauques et sépulcrales me reprocher les calamités et les crimes sans nombre dont j’avais semé le germe ! Ma femme seule parvenait alors à calmer mon affreux désespoir et à bannir l’horreur dont j’étais saisi ! — Je fis vœu de ne plus toucher une carte de ma vie ! — Je me dérobai, je m’arrachai aux liens qui me tenaient engagé, je résistai aux prières, aux séductions de mes associés qui voulaient me retenir, séduits par mon