Page:Hoffmann - Contes posthumes, 1856, trad. Champfleury.djvu/307

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vité, jusqu’à ce qu’il soit arrêté par la vue d’une belle volaille plumée, étendue sur une table. Comme partout il fait quelques profondes courbettes avant de marchander ; il cause longtemps à la femme qui l’écoute avec une mine particulièrement amicale. — Il pose avec précaution sa boîte à terre et prend deux canards, qu’il enfile très-commodément dans ses grandes poches. — Ciel ! voilà qu’une oie prend également le même chemin. Quant à la dinde, il se contente de lui faire les yeux doux, et cependant il ne peut s’empêcher de la toucher un peu, en la caressant de ses deux doigts. — Il reprend vite sa boite, s’incline devant la marchande avec beaucoup de politesse, et s’éloigne en s’arrachant avec effort du séduisant objet de son envie, — et va tout droit aux étalages de viande. Serait-ce un cuisinier qui a un grand festin commandé ? Il marchande une cuisse de veau qu’il fait encore glisser dans ses poches gigantesques. Maintenant voilà ses emplètes terminées. Il monte la rue Charlotte d’un air aussi étrange que s’il venait de tomber du ciel.

LE COUSIN. — Je me suis déjà plus d’une fois cassé la tête à propos de cette figure exotique. Que vas-tu penser de mon hypothèse ? Cet homme est un vieux maître de dessin, qui a passé sa vie dans de médiocres institutions scolaires et qui l’y passe peut-être encore. Il a gagné beaucoup d’argent dans toutes sortes d’entreprises industrielles. Il est avare, méfiant, célibataire cynique, ordurier. — Il n’a qu’un dieu, — son ventre ; — tout son plaisir consiste à bien manger seul dans sa chambre. Il n’a pas de domestiques ; il fait tout lui-même, va au marché chercher ses provisions pour la moitié de la semaine, et prépare sans aide,