Page:Homère - Odyssée, traduction Leconte de Lisle, 1893.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paroles de ma maîtresse ; mais le malheur et des hommes insolents sont entrés dans sa demeure, et les serviteurs sont privés de parler ouvertement à leur maîtresse, de l’interroger, de manger et de boire avec elle et de rapporter aux champs les présents qui réjouissent l’âme des serviteurs.

Et le patient Odysseus lui répondit :

— Ô Dieux ! ainsi, porcher Eumaios, tu as été enlevé tout jeune à ta patrie et à tes parents. Raconte-moi tout, et dis la vérité. La ville aux larges rues a-t-elle été détruite où habitaient ton père et ta mère vénérable, ou des hommes ennemis t’ont-ils saisi, tandis que tu étais auprès de tes brebis ou de tes bœufs, transporté dans leur nef et vendu dans les demeures d’un homme qui donna de toi un bon prix ?

Et le chef des porchers lui répondit :

— Étranger, puisque tu m’interroges sur ces choses, écoute en silence et réjouis-toi de boire ce vin en repos. Les nuits sont longues et laissent le temps de dormir et le temps d’être charmé par les récits. Il ne faut pas que tu dormes avant l’heure, car beaucoup de sommeil fait du mal. Si le cœur et l’âme d’un d’entre ceux-ci lui ordonnent de dormir, qu’il sorte ; et, au lever d’Éôs, après avoir mangé, il conduira les porcs du maître. Pour nous, mangeant et buvant dans l’étable, nous nous charmerons par le souvenir de nos douleurs ; car l’homme qui a beaucoup souffert et beaucoup erré est charmé par le souvenir de ses douleurs. Je vais donc te répondre, puisque tu m’interroges.

Il y a une île qu’on nomme Syrè, au-dessous d’Ortygiè, du côté où Hèlios tourne. Elle est moins grande, mais elle est agréable et produit beaucoup de bœufs, de brebis, de vin et de froment ; et jamais la famine n’afflige son peuple, ni aucune maladie ne frappe les mortels misérables hommes. Quand