Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/182

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le prince, qui demeure place Vendôme, hôtel de Bristol. Il était six heures du soir. Il pleuvait un peu, je suis venu en cabriolet de place. J’ai demandé au portier : M. le prince royal de Bavière y est-il ? — Le portier, qui est une portière, m’a répondu : — Je crois que son Altesse Royale est sortie. — Un homme, vêtu de noir, qui passait, m’a demandé ma carte et a dit : Je vais voir.

Un moment après, cet homme est revenu et m’a annoncé que le prince me priait de monter.

J’ai suivi cet homme qui m’a conduit au premier étage dans un petit salon sans antichambre, meublé de vieux fauteuils d’acajou garnis en drap bleu. Il y avait une malle dans la cheminée. Je suis resté là seul quelques instants, puis une porte s’est ouverte, un personnage est entré qui avait des moustaches blondes, un cordon noir au cou sur sa chemise blanche, et une croix blanche au côté sur son habit noir. C’était le lecteur du prince. Son Altesse s’habillait et allait me recevoir. Ce monsieur a voulu m’ôter mon chapeau par excès de politesse, mais notre mode à Paris est de le garder, ce que j’ai fait.

La porte s’est rouverte. Un homme est entré, assez jeune, d’un visage agréable, d’une quarantaine d’années, en noir, avec une croix blanche et un ruban jaune à la boutonnière. C’est un français légitimiste, M. le vicomte de Vaublanc, neveu de l’ancien ministre. M. le vicomte de Vaublanc s’est fixé à la cour de Bavière, où il est lecteur de la princesse royale et grand-maître de la cour du prince. Il dînait avec le prince chez M. Guizot, et n’avait pas mis le pied à l’hôtel des Affaires étrangères depuis 1823, année où M. de Chateaubriand y était. Nous avons causé de ces souvenirs.

Puis est arrivé M. le baron de Bourgoing, avec plaque et cordon bleu, lequel dînait aussi chez M. Guizot. On a parlé d’une revue de vingt mille hommes qui avait eu lieu le matin au champ de mars, que M. le duc d’Aumale avait passée, où M. le duc de Montpensier commandait son régiment et à laquelle M. le prince royal de Bavière assistait.

Nous étions tous restés debout, quoiqu’on eût avancé des fauteuils.

Un moment après est entré un homme fort charmant qu’on appelait Monsieur le baron. Il s’est penché à l’oreille de M. de Vaublanc, qui s’est tourné vers moi et m’a dit qu’en sa qualité de grand-maître il allait m’introduire auprès du prince royal.

La porte du petit salon s’est rouverte à deux battants, j’ai traversé le palier de l’escalier, et je suis entré, M. de Vaublanc et les autres me précédant, dans de grands appartements qui donnent sur la place Vendôme. Une dernière porte s’est ouverte à deux battants et M. de Vaublanc m’a introduit dans un salon vaste et assez magnifique, à hautes fenêtres, à boiseries blanches