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VISITE À LA CONCIERGERIE.


Septembre 1846.

Je me rappelle que le jeudi 10 septembre 1846, jour de Saint-Patient, je me déterminai à aller à l’Académie. Il y avait séance publique pour les prix Monthyon et discours de M. Viennet. Arrivé à l’Institut, je montai l’escalier assez perplexe. Devant moi, grimpait résolument et gaîment, avec une prestesse d’écolier, un membre de l’Institut en costume, habit boutonné, serré et pincé à la taille, maigre, sec, la démarche vive, la tournure jeune. Il se retourna. C’était Horace Vernet. Il avait d’immenses moustaches et trois croix de commandeur au cou. En 1846, Horace Vernet avait certainement plus de soixante ans.

Arrivé au haut de l’escalier, il entra. Je ne me sentis ni aussi jeune, ni aussi hardi que lui, et je n’entrai pas.

Sur la place de l’Institut, je rencontrai le marquis de B.

— Vous sortez de la séance de l’Académie, me dit-il.

— Non, répondis-je, on ne sort pas quand on n’est pas entré. Et vous, comment êtes-vous à Paris ?

— J’arrive de Bourges.

Le marquis, légitimiste très vif, avait été voir don Carlos, le fils de celui qui prenait le titre de Charles V. Don Carlos, que les fidèles appelaient le prince des Asturies, puis le roi d’Espagne, et qui était, pour la diplomatie européenne, le comte de Montemolin, voyait avec quelque dépit le mariage de sa cousine doña Isabelle avec l’infant don François d’Assises, duc de Cadix, lequel venait de se conclure en ce même moment. Il avait témoigné toute sa surprise au marquis, et lui avait même montré une lettre de l’infant adressée à lui, comte de Montemolin, et où se trouvait cette phrase textuelle : Je ne songerai pas à ma cousine tant que tu seras entre elle et moi.

Nous échangeâmes une poignée de main, et M. de B. me quitta.

Comme je m’en revenais par le quai des Morfondus, passant devant les grosses vieilles tours de Saint-Louis, il me prit velléité de visiter la Conciergerie du palais.

Il me serait impossible de dire à quel propos cette idée me vint, si ce n’est peut-être que j’eus envie de voir comment les hommes s’y étaient pris pour rendre hideux au dedans ce qui est si magnifique au dehors, ou bien qu’il