Aller au contenu

Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/402

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

À dix heures, le préfet de police Ducoux est arrivé et est venu s’asseoir à côté de Cavaignac.

Il était près de minuit quand Caussidière a paru à la tribune, avec une énorme liasse de papiers qu’il a annoncé l’intention de lire. Rumeur d’effroi dans l’Assemblée. En réalité, le manuscrit avait beaucoup de feuilles, mais l’écriture était si grosse que chaque feuille tenait peu de mots ; ceci parce que Caussidière lit avec quelque difficulté et qu’il lui faut de grosses lettres comme à un enfant.

Caussidière avait une redingote noire à un seul rang de boutons, boutonnée jusqu’à la cravate. Il y avait un singulier contraste entre sa figure de tartare, ses larges épaules, sa stature colossale, et son accent timide et son attitude embarrassée. Il y a du géant et de l’enfant dans cet homme. Cependant, je le crois fort mêlé aux choses de mai. Quant à juin, nulle preuve.

Il a donné, entre autres pièces, lecture d’une lettre de Ledru-Rollin, à lui adressée le 23 avril ; lui préfet, Ledru-Rollin ministre. Cette lettre lui donne avis d’un complot pour l’égorger et se termine par ceci : « Bonne nuit comme à l’ordinaire, en ne dormant pas. »

Dans un autre moment, Caussidière, refusant de s’expliquer sur des ouï-dire, s’est écrié : — La tribune nationale n’a pas été fondée pour bavarder sur des bavardages !

À une heure du matin, au milieu d’un profond silence qui s’est fait tout à coup au milieu du tumulte, le président Marrast a lu une demande en autorisation de poursuites du procureur général Corne contre Louis Blanc et Caussidière.

Ceci a amené à la tribune Louis Blanc, qui a protesté. Sa protestation était énergique, mais sa voix était altérée. On disait autour de moi : — Il a peur.

À de certains moments, les cris éclataient de toutes parts, et les spectateurs se dressaient debout dans les tribunes.

Les lustres se sont éteints plusieurs fois, et l’on a été obligé de les rallumer dans le cours de la séance.

À deux heures et demie du matin, Lamartine s’en est allé, baissant la tête et les deux mains dans ses goussets. Il a traversé la salle d’un air abattu. Il est revenu une heure après.


Au moment où on allait voter, Caussidière s’est approché du banc des ministres et a dit au général Cavaignac :

— C’est donc dit ?

Cavaignac a répondu :

— C’est mon devoir.