Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/403

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— Général, a repris Caussidière, est-ce que vous allez me faire arrêter comme cela ici ? J’ai là ma mère et mes sœurs, que diable !

— Que voulez-vous que j’y fasse ? a dit Cavaignac.

— Donnez-moi quarante-huit heures. J’ai des affaires. Il me faut le temps de me retourner.

— Je veux bien, a répondu Cavaignac. Seulement, entendez-vous avec Marie.

(Le ministre de la justice a consenti aux quarante-huit heures, et Caussidière en a profité pour s’évader.)


Quand le jour a paru, l’Assemblée délibérait encore. Les lustres pâlissaient. On voyait à travers les fenêtres le ciel gris et morne du crépuscule. Les rideaux blancs des croisées s’agitaient au vent du matin. Il faisait très froid dans la salle. Je distinguais de ma place des silhouettes d’hommes juchés sur la corniche extérieure des croisées, qui se découpaient sur la clarté du ciel.

On votait par billets bleus et billets blancs. Les billets blancs étaient pour l’accusation, les billets bleus contre. Chaque billet, selon l’usage de l’Assemblée, portait le nom du député votant.

Au dernier tour, j’ai fait mettre des billets bleus à presque tous mes voisins, même à M. Isambert, qui était fort animé contre les représentants inculpés.

L’urgence a été votée par 493 voix contre 292. La majorité nécessaire était 393. — 93 deux fois[1].

À six heures et demie du matin tout était terminé, les femmes des tribunes descendaient en foule par l’unique escalier, la plupart cherchant des maris représentants. Les journalistes s’appelaient dans les couloirs, les huissiers couraient affairés, on disait avoir vu des gendarmes dans la salle des pas-perdus, les yeux étaient mornes, les visages étaient pâles, et le plus beau soleil du monde emplissait la place de la Concorde.




11 septembre.

En descendant de la tribune, j’ai demandé au général Cavaignac la grâce de quatre transportés désignés et enfermés pour partir au fort de l’Est, un poëte et trois peintres, Simon Chaumier, Bourguignon, Doublemard père et fils. Le général m’a présenté une feuille de papier et m’a dit : Écrivez les

  1. L’Assemblée nationale a accordé l’autorisation des poursuites. (Note de l’éditeur.)