Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/138

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Dimanche (10 février).

Mes dernières paroles hier ont été : Dors bien ; les tiennes : Adieu, monsieur Victor. Et cependant aujourd’hui je t’écris, aujourd’hui je suis prêt à me mettre à tes pieds, à m’accuser de tout, à te demander grâce de tous les torts dont je me suis sans doute rendu coupable à mon insu. Tu ne trouveras dans cette lettre, mon Adèle adorée, rien qui ressemble à un reproche, à une récrimination. Tu étais souffrante hier soir, certainement j’ai tort, et seul tort. Cette nuit, je voulais t’écrire une lettre où je t’aurais raconté quelques preuves d’attachement que je t’ai données et que tu ignores, afin de te montrer que si l’un de nous deux a donné à l’autre lorsqu’il était malheureux des marques d’indifférence, ce n’est pas moi.

Hier cependant tu m’as fait un peu légèrement peut-être un reproche bien grave, Je riais pendant que tu pleurais ! Non, Adèle, je ne te donnerai point d’explications amères, j’imposerai silence à tout ce qui se révolte chez moi à une pareille accusation. Puisque tu étais malade, je consentirai à ce que tu me punisses d’un tort involontaire comme d’une faute préméditée. Chère amie, je me borne à t’assurer que je ne t’ai point vue pleurer, que j’ignorais ton chagrin, n’en comprenant pas encore à présent tout à fait la cause. Ensuite, je sais que je n’étais guère disposé hier à rire, comme ma lettre a pu te le prouver ; seulement il faut faire bonne contenance, et tu auras jugé comme tous les autres qui prennent un rire obligé et souvent pénible pour une gaîté réelle. Je ne me doutais pas de savoir si bien dissimuler. Je me borne à t’assurer tout cela, je ne te le jure point, car si tu ne me crois pas sur une simple affirmation, me croiras-tu sur un serment ? Sois bien convaincue, ma bien-aimée Adèle, qu’il n’y a en ce moment rien contre toi dans mon cœur. Je te plains d’être souffrante, je t’admire, je t’adore et te respecte comme toujours. Je voudrais même que tu ignorasses combien tu m’as fait de mal en me menaçant de garder toute ta vie le souvenir d’un tort dont j’ignorais être coupable. Je me bornerai, chère amie, à faire plus que toi. Tu ne me pardonneras jamais ce tort involontaire, et moi, je te pardonne dès à présent ces paroles impitoyables. — Je regrette d’avoir écrit cette dernière phrase, parce qu’elle te fera peut-être sentir un peu vivement la peine que tu m’as causée, j’ai tort de l’avoir écrite, j’aurais dû me contenter de la penser. Mon Adèle, je veux te répéter combien je