Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/386

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veux pas t’attrister de toute notre afflictions si tu étais ici, excellent père, nous pleurerions ensemble et nous nous consolerions en partageant nos larmes.

Tout le monde est ici plongé dans la stupeur, comme si Léopold, comme si cet enfant né d’hier, cet être maladif et délicat n’était pas mortel. Hélas, il faut remercier Dieu qui a daigné lui épargner les douleurs de la vie. Il est des moments où elles sont bien cruelles. Notre Léopold est un ange aujourd’hui, cher papa, nous le prierons pour nous, pour toi, pour sa seconde mère, pour tous ceux qui l’ont aimé pendant sa courte apparition sur la terre.

Il ne faut pas croire que Dieu n’ait pas eu son dessein en nous envoyant ce petit ange, sitôt rappelé à lui. Il a voulu que Léopold fût un lien de plus entre vous, tendres parents, et nous, enfants dévoués. Mon Adèle au milieu de ses sanglots me répétait hier que l’une de ses douleurs les plus vives était de penser à celles que toi et ton excellente femme avez éprouvées.

Ce n’est pas à ta lettre que je réponds ; j’ai appris la fatale nouvelle de Mme Foucher. Dans le premier moment, elle avait caché les deux lettres, de peur qu’Adèle ne les lût ; elle n’a pu les retrouver depuis. Du reste, elle m’a dit tout votre chagrin, toutes vos tendres et pieuses intentions pour que la trace de ce cher petit ne s’efface pas plus sur la terre qu’elle ne s’effacera dans nos cœurs.

Adieu, bon et cher papa, console-toi de mon malheur.

C’était hier (12 octobre) l’anniversaire de notre mariage. Le bon Dieu nous a donné une consolation en nous ramenant ce doux souvenir de joie au milieu d’une si vive douleur. Adieu encore, ma femme et moi avons le cœur plein de tendresse pour vous deux.

Ton fils résigné et respectueux,

Victor[1].


Au général Hugo.


Samedi, novembre [1813].
Mon cher papa,

Je t’écris à la hâte quelques mots ; M. de Féraudy[2] attend ma lettre et le paquet ; ma femme se dépêche de terminer le dessin qu’elle envoie à ses bons parents de Blois ; j’espère que tu en seras content, et je me tais, parce que je craindrais, en louant le talent de mon Adèle, de paraître vouloir

  1. Bibliothèque municipale de Blois.
  2. M. de Faraudy, ami et voisin du général, faisait des vers et avait publié deux volumes de fables.