Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/545

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magnifique par des voies droites et sûres et où les pentes me paraissent bien ménagées. Je suis d’accord avec vous sur presque tous les points et je m’en félicite.

Concourons donc ensemble tous, chacun dans notre région et selon notre loi particulière, à la grande substitution des questions sociales aux questions politiques. Tout est là. Tâchons de rallier à l’idée applicable du progrès tous les hommes d’élite, et d’extraire un parti supérieur qui veuille la civilisation, de tous les partis inférieurs qui ne savent ce qu’ils veulent.

J’applaudis du fond de mon cœur aux efforts de la Revue Sociale que vous dirigez avec une pensée si noble et une conscience si élevée. Je ne doute pas de votre succès, monsieur. La vérité a quelquefois de longues gestations, jamais d’avortements.

Agréez, monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

Victor Hugo[1].


À Monsieur Thiers, ministre de l’Intérieur.


Paris, 15 juin 1834.
Monsieur le ministre.

Il y a en ce moment à Paris une femme qui meurt de faim.

Elle s’appelle Mlle Élisa Mercœur[2]. Elle a publié plusieurs volumes de poésie ; ce n’est pas ici le lieu d’en louer le mérite, et d’ailleurs je ne me sens aucune autorité sur ces matières, mais son nom est sans doute connu de vous.

Il y a cinq ans, sous le ministère de M. de Martignac, une pension littéraire lui fut donnée, pension de 1 200 francs, qui a été réduite à 900 francs depuis 1830. Elle a sa mère avec elle, et rien autre chose, pour vivre à Paris, que cette pension de 900 francs. Toutes deux meurent de faim, à la lettre. Vous pouvez faire prendre des informations.

Monsieur le ministre, en 1823, le roi Louis XVIII m’assigna spontanément une pension ou allocation annuelle de 2 000 francs sur les fonds du ministère de l’Intérieur. En 1832, j’ai renoncé volontairement à cette pension.

À cette époque, votre prédécesseur, M. d’Argout, me fit dire qu’il n’acceptait pas ma renonciation, qu’il continuerait de considérer cette pension comme mienne, et qu’il n’en disposerait en faveur de personne.

  1. Copie annotée par Victor Hugo. Archives de la famille de Victor Hugo.
  2. Élisa Mercœur, poète, avait adressé, le 8 mai 1834, au duc de Bassano une lettre désespérée, elle demandait un secours qui, le 15 juin, comme la lettre de Victor Hugo en témoigne, n’avait pas encore été accordé.