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LE RHIN.

fait naître chez un meunier, dans la Forêt-Noire ; Roland, qu’elle fait mourir, non à Roncevaux des coups de toute une armée, mais d’amour sur le Rhin, dans le couvent de Nonnenswerth ; plus tard, l’empereur Othon, Frédéric Barberousse et Adolphe de Nassau. Ces hommes historiques, mêlés dans les contes aux personnages merveilleux, c’est la tradition des faits réels qui persiste sous l’encombrement des rêveries et des imaginations, c’est l’histoire qui se fait vaguement jour à travers les fables, c’est la ruine qui reparaît çà et là sous les fleurs.

Cependant les ombres se dissipent, les contes s’effacent, le jour se fait, la civilisation se reforme et l’histoire reprend figure avec elle.

Voici que quatre hommes venus de quatre côtés différents se réunissent de temps en temps près d’une pierre qui est au bord du Rhin, sur la rive gauche, à quelques pas d’une allée d’arbres, entre Rhens et Kapellen. Ces quatre hommes s’asseyent sur cette pierre, et là ils font et défont les empereurs d’Allemagne. Ces hommes sont les quatre électeurs du Rhin ; cette pierre, c’est le siège royal, Kœnigsthül.

Le lieu qu’ils ont choisi, à peu près au milieu de la vallée du Rhin, Rhens, qui est à l’électeur de Cologne, regarde à la fois, à l’ouest, sur la rive gauche, Kapellen, qui est à l’électeur de Trèves ; et au nord, sur la rive droite, d’un côté Oberlahnstein, qui est à l’électeur de Mayence, et de l’autre Braubach, qui est à l’électeur palatin. En une heure chaque électeur peut se rendre à Rhens de chez lui.

De leur côté, tous les ans, le second jour de la Pentecôte, les notables de Coblentz et de Rhens se réunissent au même lieu sous prétexte de fête, et confèrent entre eux de certaines choses obscures ; commencement de commune et de bourgeoisie faisant sourdement son trou dans les fondations du formidable édifice germanique déjà tout construit ; vivace et éternelle conspiration des petits contre les grands germant audacieusement près du Kœnigsthül, à l’ombre même de ce trône de pierre de la féodalité.

Presque au même endroit, dans le château électoral de Stolzenfels, qui domine la petite ville de Kapellen, aujourd’hui ruine magnifique, Werner, archevêque de Cologne, loge et entretient de 1380 à 1418 des alchimistes qui ne font pas d’or, mais qui trouvent, en cheminant vers la pierre philosophale, plusieurs des grandes lois de la chimie. Ainsi, dans un espace de temps assez court, le même point du Rhin, le lieu à peine remarqué aujourd’hui qui fait face à l’embouchure de la Lahn, voit naître pour l’Allemagne l’empire, la démocratie et la science.

Désormais le Rhin a pris un aspect tout ensemble militaire et religieux. Les abbayes et les couvents se multiplient ; les églises à mi-côte rattachent aux donjons de la montagne les villages du bord du fleuve, image frappante,