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STRASBOURG.

les vitraux, qui sont beaux, quoiqu’on les ait stupidement blanchis dans leur partie inférieure ; puis les tombeaux et les sarcophages, qui abondent dans cette église. L’un de ces tombeaux est du quatorzième siècle ; c’est une lame de pierre incrustée droite dans le mur, sur laquelle est sculpté un chevalier allemand de la plus superbe tournure. Le cœur du chevalier dans une boîte en vermeil avait été déposé dans un petit trou carré creusé au ventre de la figure. En 93, des Brutus locaux, par haine des chevaliers et par amour des boîtes en vermeil, ont arraché le cœur à la statue. Il ne reste plus que le trou carré parfaitement vide. Sur une autre lame de pierre est sculpté un colonel polonais, casque et panache en tête, dans cette belle armure que les gens de guerre portaient encore au dix-septième siècle. On croit que c’est un chevalier ; point, c’est un colonel. Il y a en outre deux merveilleux sarcophages en pierre ; l’un, qui est gigantesque et tout chargé de blasons dans le style opulent du seizième siècle, est le cercueil d’un gentilhomme danois qui dort, je ne sais pourquoi, dans cette église ; l’autre, plus curieux encore, sinon plus beau, est caché dans une armoire, comme le buste de Pigalle. Règle générale : les sacristains cachent tout ce qu’ils peuvent cacher, parce qu’ils se font payer pour laisser voir. De cette façon on fait suer des pièces de cinquante centimes à de pauvres sarcophages de granit qui n’en peuvent mais. Celui-ci est du neuvième siècle ; grande rareté. C’est le cercueil d’un évêque qui ne devait pas avoir plus de quatre pieds de haut, à en juger par son étui. Magnifique sarcophage du reste, couvert de sculptures byzantines, figures et fleurs, et porté par trois lions de pierre, un sous la tête, deux sous les pieds. Comme il est dans une armoire adossée au mur, on n’en peut voir qu’une face. Cela est fâcheux pour l’art ; il vaudrait mieux que le cercueil fut en plein air dans une chapelle. L’église, le sarcophage et le voyageur y gagneraient ; mais que deviendrait le sacristain ? Les sacristains avant tout ; c’est la règle des églises.

Il va sans dire que la nef romane de Saint-Thomas est badigeonnée en jaune vif.

J’allais sortir, quand mon sacristain protestant, gros cuistre rouge et joufflu d’une trentaine d’années, m’a arrêté par le bras. — Voulez-vous voir des momies ? — J’accepte. Autre cachette, autre serrure. J’entre dans un caveau. Ces momies n’ont rien d’égyptien. C’est un comte de Nassau et sa fille, qu’on a trouvés embaumés en fouillant les caves de l’église, et qu’on a mis dans ce coin sous verre. Ces deux pauvres morts dorment là au grand jour, couchés dans leurs cercueils, dont on a enlevé le couvercle. Le cercueil du comte de Nassau est orné d’armoiries peintes. Le vieux prince est vêtu d’un costume simple coupé à la mode de Henri IV. Il a de grands gants de peau jaune, des souliers noirs à hauts talons, un collet de guipure et un bonnet