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LE RHIN.

de linge bordé de dentelle. Le visage est de couleur bistre. Les yeux sont fermés. On voit encore quelques poils de la moustache. Sa fille porte le splendide costume d’Élisabeth. La tête a perdu forme humaine ; c’est une tête de mort ; il n’y a plus de cheveux ; un bouquet de rubans roses est seul resté sur le crâne nu. La morte a un collier au cou, des bagues aux mains, des mules aux pieds, une foule de rubans, de bijoux et de dentelles sur les manches ; et une petite croix de chanoinesse richement émaillée sur la poitrine. Elle croise ses petites mains grises et décharnées, et elle dort sur un lit de linge comme les enfants en font pour leurs poupées. Il m’a semblé, en effet, voir la hideuse poupée de la mort. On recommande de ne pas remuer le cercueil. Si l’on touchait à ce qui a été la princesse de Nassau, cela tomberait en poussière.

En me retournant pour voir le comte, j’ai été frappé de je ne sais quelle couche luisante beurrée sur son visage. Le sacristain — toujours le sacristain — m’a expliqué qu’il y a huit ans, lorsqu’on avait trouvé cette momie, on avait cru devoir la vernir. Que dites-vous de cela ? À quoi bon avoir été comte de Nassau, pour être, deux cents ans après sa mort, verni par des badigeonneurs français ? La bible avait promis au cadavre de l’homme toutes les métamorphoses, toutes les humiliations, toutes les destinées, excepté celle-ci. Elle avait dit : — Les vivants te disperseront comme la poussière, te fouleront aux pieds comme la boue, te brûleront comme le fumier ; — mais elle n’avait pas dit : — Ils finiront par te cirer comme une paire de bottes !