Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/405

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Ce qui est aussi le quatorzième siècle tout entier, c’est le portail intérieur par lequel j’étais entré de l’église au cloître. Là, tympans, voussures, chapiteaux, colonnettes, médaillons, statuettes, tout est du plus beau style de cette belle époque. Ajoutez à cela que, protégé par le cloître contre l’action de l’air et par le hasard contre les badigeonneurs, ce portail a conservé dans tout leur lustre et presque dans toute leur fraîcheur la dorure et la peinture du temps. J’étais émerveillé. — Pardieu, pensais-je, c’est à se mettre à genoux devant !

Je me retourne et je vois quelqu’un en effet qui était « à genoux devant », et à genoux sur la dalle, et qui ? une femme d’une quarantaine d’années, belle encore, d’un visage noble, et enveloppée d’une riche mantille de dentelle noire. Comme je la regardais avec surprise, une autre femme, celle-là vieille et déguenillée, entre dans le cloître et vient s’agenouiller près de la première. Puis une troisième. Notez que nous étions hors de l’église. — Voilà, disais-je, qui est adorer bien dévotement l’architecture ! — Un peu d’attention m’a tout expliqué. Il y avait sur le meneau du portail une madone-poupée, et à côté sur la muraille cette inscription :

ed eminenmo sr carde
nal pereira concedio
80 dias de yndulgena
y el sr orispo murillo
40 al que rezare una
salve de brodillas de
lane esta sma ymagen
de nra srs de el amparo[1]

Il est probable que cette inscription est le hasard dont je parlais tout à l’heure et qui a empêché le badigeonnage. La poupée a sauvé le portail. Comme j’achevais de copier l’inscription, la belle dévote agenouillée s’est levée, et en passant près de moi, presque sans se détourner, m’a dit par-dessus l’épaule : Cavalier français qui regardez tout, allez donc voir la sacristie. Puis elle s’est éloignée rapidement.

Je suis rentré dans l’église, j’ai fureté partout, et enfin, à force de pousser toutes les portes, je suis arrivé à la sacristie.

Oh ! que c’était bien là en effet une sacristie selon le cœur d’une belle dévote espagnole ! Figurez-vous un immense boudoir rocaille, doré,

  1. Le très éminent seigneur cardinal Pereira a concédé 80 jours d’indulgences et le seigneur évêque Murillo 40 à celui qui récitera un salut à genoux devant cette très sainte image de Notre-Dame de l’Amparo.