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TAS DE PIERRES.
I.

O écrivains, mes contemporains, vous nés avec le siècle, et vous plus jeunes, avenir vivant de la France, je vous salue et je vous aime.

Les écrivains et les poëtes de ce siècle ont cet avantage étonnant qu’ils ne procèdent d’aucune école antique, d’aucune seconde main, d’aucun modèle. Ils n’ont pas d’ancêtres, et ils ne relèvent pas plus de Dante que d’Homère, pas plus de Shakespeare que d’Eschyle. Les poètes du dix-neuvième siècle, les écrivains du dix-neuvième siècle, sont les fils de la Révolution française.

Ce volcan a deux cratères, 89 et 93. De là, deux courants de lave. Ce double courant, on le retrouve aussi dans les idées.

Tout l’art contemporain résulte directement et sans intermédiaire de cette genèse formidable. Aucun poëte antérieur au dix-neuvième siècle, si grand qu’il soit, n’est le générateur du dix-neuvième siècle. Nous n’avons pas un homme dans nos racines, mais nous avons l’humanité.

Si vous voulez absolument rattacher la littérature de ce siècle à des hommes antérieurs à notre époque, cherchez ces hommes, non dans la littérature, mais dans l’histoire, et allez droit à Danton, par exemple. Mais ce mouvement vient de plus haut que les hommes. Il vient des idées. Il est la Révolution même.

1863.

J’aime tous les hommes qui pensent, même ceux qui pensent autrement que moi. Penser, c’est déjà être utile, c’est toujours et en tout cas faire effort vers Dieu. Les dissentiments des penseurs sont peut-être utiles. Qui sait ? Au fond, tous vont au même but, mais par des voies différentes. Peut-être est-ce Dieu même qui veut que les routes soient diverses pour que le genre humain ait plus d’éclaireurs. À force de battre les buissons des idées, les philosophes même les plus lointains et les plus perdus finissent par faire lever des vérités.