Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome II.djvu/524

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au fiacre à l’heure. Bonaparte a été sans respect. Il a tué le droit divin par le tutoiement.

Les dégâts qu’il a faits dans le principe d’autorité sont irréparables. Il y a tout mis sens dessus dessous. Il a désarticulé la mécanique, luxé la jointure de la papauté avec la monarchie, désemboîté le mouvement, forcé le ressort, tordu la clef, défoncé le secret. Pas un rouage qui aille maintenant. On sent partout le provisoire. C’est refait, c’est rebouté, c’est recollé, c’est rafistolé, mais ça ne tient pas. Il a frappé de désuétude les axiomes royalistes, fondement des sociétés. Il a jeté « Dieu, le roi et les belles » aux antiquailles. L’ancien roi proprement dit est aujourd’hui du bric-à-brac. On en voit çà et là quelques spécimens, à Rome, par exemple, qui est le grand magasin des curiosités ; en Prusse aussi, dit-on. C’est de la royauté peut-être, mais ce n’est pas de la réalité. C’est en plaqué, en strass, en chrysocale, en similor, en ruolz, en mensonge, en fumée. C’est diaphane ; cela manque d’épaisseur, de solidité, de qualité, de noirceur. On voit l’aurore à travers. Napoléon a désorganisé les chancelleries, déconcerté Cobentzell, Kaunitz, Hardenberg, toutes ces fortes caboches, culbuté l’habileté les quatre fers en l’air, éclopé la routine, brutalisé les sacrés collèges et les sacrées consultes, pratiqué des jours au mur du conclave, montré toute grande ouverte la cave du saint-office, violé le domicile des vieux abus auliques, catholiques et apostoliques. Un tas de principautés difformes sont restés sur le carreau. Voyez, par exemple, dans quel état il a laissé cet affreux petit landgraviat de Hesse qui, au siècle dernier, vendait des hommes à l’Angleterre pour la guerre d’Amérique, et dont le raccommodage a été presque impossible, même au congrès de 1815. Par sa sécularisation des couvents et par son balayage des Abruzzes, il a mis hors de service deux formes séculaires de la civilisation légitime, le monachisme et le banditisme ; c’est en vain que, dans ces derniers temps, Pie IX a restauré l’une et François II l’autre ; il est clair que c’est détraqué et que cela durera peu. Napoléon a avarié à Rome la théocratie, — reçu un pape en mauvais état, — en Russie l’autocratie, en Allemagne la féodalité, en Autriche la diplomatie, en Prusse la schlague, en Angleterre l’aristocratie, en Espagne l’inquisition. Toutes ces institutions, grâce à lui, rendent maintenant un son fêlé. Ce sont là des services. L’histoire lui en tiendra compte. Il lui sera beaucoup pardonné parce qu’il a beaucoup cassé.

On m’a souvent reproché, depuis une douzaine d’années, mon bonapartisme. Voilà de quoi il se compose.

Pour nous, Bonaparte, nous l’avons déjà dit ailleurs, c’est Robespierre II. À Austerlitz, la révolution monte à cheval. Ce tour d’Europe