Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome II.djvu/529

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

droits ; en un mot, le gouvernement de tous pour tous par tous ; tout cela est dans le suffrage universel, œuf qui finira par être bien couvé.

Combinez l’instruction gratuite et obligatoire avec le suffrage universel, l’avenir sortira.

Quand il s’agit du bien, les éclosions hâtées sont bonnes.

La science qui trouve le vrai, l’art qui réalise le beau, sont les deux plus puissants modes d’incubation de la civilisation. Dans l’antiquité, le poëte n’était pas distinct du législateur. Solon et Moïse sont des poëtes. De nos jours l’impulsion littéraire est la grande déterminante du mouvement social. Qu’est-ce que la liberté de la presse ? une force littéraire.

La force littéraire a toujours été, et est de nos jours plus que jamais, une force révolutionnaire. Au dix-neuvième siècle, la société étant entièrement refaite par 1789, la force littéraire est entièrement renouvelée. Elle n’est pas distincte de la révolution même. La révolution est la loi, la littérature est l’idée. Elles aussi, elles disent : Jungamus Dextras. À proprement parler, il n’y a qu’une force, la Révolution. Cette force a été nos pères ; elle est nous.

Qui dit force, dit énergie. La révolution est une volonté. Ceux qui ne voient en elle qu’un élément se trompent ; elle est une intelligence ; elle est un être. Elle est debout, immense, ailée, armée. Elle a des ordres, qu’elle exécute. Elle n’entend pas qu’on s’arrête, elle pousse le siècle devant elle ; car, nous venons de le dire, les haltes ne sont qu’apparentes ; le fatal travail providentiel ne s’interrompt pas ; nulle solution de continuité ; l’enjambée amène l’enjambée ; une fois réalisé, l’effet devient cause, et entre en parturition d’un résultat nouveau qui à son tour engendre, et ceux-là même qui croient rester immobiles se déplacent et avancent. Pas moyen de se soustraire au progrès, qui est le jour levant ; la conviction du soleil gagne secrètement les hiboux, et les ennuie. Ceux-là même qui trouvent l’avenir possible n’ont qu’à se retourner, et le passé leur semblera plus impossible encore. C’est fini, il faut progresser, il faut apprendre, il faut s’améliorer, il faut penser, il faut aimer, il faut vivre, tirez-vous de là comme vous pourrez, aucun recul n’est possible, les portes du retour sont fermées, et chassés de nouveau du paradis imbécile et chimérique de l’inconscience, la vieille Eve, l’antique Erreur qui, d’usurpation en usurpation était devenue tyrannie, le vieil Adam, l’antique Ignorance qui, de dégradation en dégradation était devenue Esclavage, talonnés par la Révolution française, s’en vont vers le travail, vers la fécondité, vers le salubre emploi des forces terrestres, vers l’activité, vers la responsabilité, vers la liberté, inexorablement envoyés en avant, marchant, marchant toujours, avec ce grand flamboiement d’épée derrière eux.