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POST-SCRIPTUM DE MA VIE.

parole, le beau front insolent, la belle gorge découverte, qui ne craint pas un vieillard, qui ne craint pas un homme, qui ne craint pas même un adolescent, qui est si gaie qu’on devine qu’elle a souffert, qui est si indifférente qu’on devine qu’elle a aimé. Suzette n’a pas d’amant, Suzanne en a un. Suzon en a deux. Qui sait ? trois peut-être. Suzette soupire, Suzanne sourit, Suzon rit aux éclats. Suzette est charmante, Suzanne est séduisante, Suzon est appétissante. Suzette est tout près de l’ange, Suzon est tout près du diable ; Suzanne est entre les deux.

Que cela est beau ! que cela est joli ! que cela est profond ! Dans cette femme, il y a trois femmes, et dans ces trois femmes, il y a toute la femme. Suzanne est plus qu’un personnage, c’est une trilogie ; plus qu’une trilogie, une trinité.

Quand Beaumarchais a besoin d’éveiller l’une des trois idées qui sont dans sa création, il emploie un de ces trois noms, et, selon qu’on l’appelle Suzette, Suzanne ou Suzon, la belle fille que les spectateurs ont sous les yeux se modifie à l’instant même comme sous la baguette d’un magicien, comme sous un rayon de lumière inattendu, et lui apparaît colorée ainsi que l’a voulu le poëte.

Voilà ce que c’est qu’un nom bien choisi.

[1839-1840.]