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TAS DE PIERRES. — VI.

C’est une prostitution, ce n’est pas une célébration.

C’est un esclavage, ce n’est pas un épanouissement.

De là cette révolte de l’amour qu’on qualifie adultère.

Aujourd’hui, quel qu’ait été le travail des idées sociales depuis toutes nos révolutions, tout cet ensemble de faits qui s’enchaînent et se commandent, mariage, adultère, prostitution, est encore vu à faux jour.

On voit le mariage où il n’est pas, on voit l’adultère où il n’est pas, on voit la prostitution où elle n’est pas.

Dans la plupart des cas, ce qu’on appelle mariage est l’adultère, et ce qu’on appelle adultère est le mariage.

Faites le mariage vrai, faites-le sortir de la nature et du cœur, et ces deux faits, adultère et prostitution, qui sont, l’un la protestation du cœur, l’autre la protestation de la nature, s’évanouissent.

Dans l’état actuel, l’union irrésistible de deux cœurs est persécutée par la loi ; or qu’est-ce que cette union, sinon le mariage ? tandis que la loi protège la livraison d’une femme à un homme moyennant vente légale et intérêts combinés ; or qu’est-ce que la consommation de cette vente, sinon l’adultère et la prostitution ?

Chose étrange, après dix-huit siècles de progrès, la liberté de l’esprit est proclamée ; la liberté du cœur ne l’est pas.

Pourtant aimer n’est pas un moins grand droit de l’homme que penser.

[1866-1870.]

Le poëme de la femme traverse l’histoire de l’homme ; il a çà et là des espèces de chants sublimes. Les deux plus beaux de ces chants, c’est Marie, mère de Dieu, et Jeanne d’Arc, mère du Peuple. Deux vierges qui enfantent, l’une le Christ, l’autre la France.

[1850-1854.]

Tous les poètes ont une femme qui fait à leur insu une bonne moitié de leurs ouvrages.

Molière heureux n’eût pas écrit le Misanthrope. Molière a fait Célimène, Mlle Béjart a fait Alceste.

[1846-1848.]

La femme nue c’est le ciel bleu.

Nuages et vêtements font obstacle à la contemplation. La beauté et l’infini veulent être regardés sans voiles. Au fond, c’est la même extase, l’idée de l’infini se dégage du beau comme l’idée du beau se dégage de l’infini.