Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome II.djvu/628

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d’angles à calculer ; plus de parallaxe à rêver ; ici la géométrie arrive à l’épouvante.

On sent l’accablement de la création inconnue.

Disons-le, même à cette profondeur, le télescope a pu saisir des formes. Messier, du haut de la logette de l’hôtel de Cluny, a constaté dans la vingt-septième nébuleuse deux cercles lumineux occupant les deux foyers d’une ellipse. La nébuleuse d’Hercule figure une éponge dont chaque trou serait une étoile. La nébuleuse du Chien de chasse, espèce de chevelure de flamme, tourne en spirale autour d’un noyau éblouissant. L’éternité d’un ouragan semble pouvoir seule expliquer cette torsion effrayante.

Qui sait où l’observation humaine s’arrêtera ? De Francœur à nous, le télescope a monté de soixante-quinze millions d’étoiles à cent millions.

Parce que dans la Voie Lactée proprement dite, nous n’avons encore compté que dix-huit millions de soleils, ce n’est pas une raison pour nous décourager.

Le jour où nos lunettes auraient reçu un suprême perfectionnement qui n’a rien d’impossible, la profondeur incommensurable étant partout peuplée d’astres à des éloignements divers, tous ces points lumineux, devant le regard du télescope, se serreraient sans interstice les uns contre les autres, boucheraient tous les trous, deviendraient surface, et le ciel de la nuit nous apparaîtrait comme un immense plafond d’or.


8

Le ciel offre cet effrayant phénomène : toujours la lumière, jamais la certitude.

Les distances démesurées des astres font que le ciel, à parler rigoureusement, est toujours à l’état d’illusion.

Le ciel que nous voyons n’est pas présent ; il est passé. L’Aujourd’hui du ciel nous est inconnu ; nous n’avons devant les yeux qu’Hier, et un Hier qui pour certains astres recule à des milliers d’années. La Chèvre que nous admirons tous les soirs était peut-être éteinte sept ans avant la bataille de Marengo ; les étoiles que le télescope de trois mètres aperçoit maintenant n’existaient peut-être plus au temps de Charlemagne, et les étoiles que le télescope de six mètres observe en ce moment étaient peut-être déjà évanouies au moment de la guerre de Troie. À l’heure où nous sommes, il n’y a peut-être plus une seule étoile dans le ciel.

Les dernières étoiles étant situées à la distance infinie, et la distance infinie ne s’épuisant pas, leur lumière, même après que l’astre aurait disparu, nous