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JE VIS LES QUATRE VENTS PASSER…

Ses strophes ne sont pas plus vite exténuées
Dans leur vol à travers l’azur que vos nuées ;
Un vers court par-dessus les tours et les remparts
Mieux que l’errante bise aux longs cheveux épars ;
Et le poëte, ouvrant ses intègres registres,
Ne met pas plus de temps que vous, ô vents sinistres,
Pour essuyer sa bouche et changer de clairon.
Comme vous sur la peste, il souffle sur Néron ;
Il parle bas aux saints pensifs au fond des grottes ;
Il donne une attitude inquiète aux despotes ;
La pensée est un aigle à quatre ailes, qui va
Du gouffre où Noé flotte à l’île où Jean rêva ;
Et chacun de ses grands ailerons, Épopée,
Drame, Ode, Iambe ardent, coupe comme l’épée.
Le génie a sur lui, dans sa guerre aux fléaux,
Toute l’éclaboussure affreuse du chaos,
Écume, fange, sang, bave, et pas une tache.
Il est un et divers. L’idéal se rattache
Comme une croix immense aux quatre angles des cieux.
Le grand char de l’Esprit roule sur quatre essieux.
Notre âme comme vous, ô vents, groupe sonore,
A son nord, son midi, son couchant, son aurore ;
Car c’est par la clarté qu’en ce monde âpre et beau
L’homme finit, son aube étant dans le tombeau.
Le poète est pasteur, juge, prophète, apôtre ;
En quatre pas, il peut aller d’un bout à l’autre
De l’art sublime, ainsi que vous de l’horizon ;
Et comme vous, s’il est terrible, il a raison ;
Sa sagesse et la vôtre ont un air de délire.

L’ombre a tout l’ouragan, l’âme a toute la lyre.


H.-H. — 3 juin 1870.