Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/19

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Je vis Aldebaran dans les cieux. Je lui dis :

— Ô toi qui luis ! ô toi qui des clairs paradis
Ou des hideux enfers portes la torche énorme,
Toi seul connais ta loi, je ne vois que ta forme ;
Car d’une énigme à l’autre on ne peut traverser.
Tout est sphinx ; quand on voit la comète passer
Farouche, et sans qu’aucun firmament l’ose exclure,
Sait-on ce qu’elle essuie avec sa chevelure ?
Dans cette mer de l’Être où tout sert, où tout nuit,
Qu’es-tu ? fanal peut-être au cap noir de la nuit,
Peut-être feu de proue à l’avant d’un navire.
La vie autour de toi naît, meurt, flotte, chavire.
Astre ! quand l’univers naquit, fauve et sacré,
Tu ne fus pas le jet le moins démesuré
De ces convulsions terribles et de l’onde
Du chaos frémissant de devenir le monde.
Tu fais partie, ainsi que l’hydre et l’alcyon,
Du rhythme monstrueux de la création ;
Tu complètes l’horreur sidérale, et tu scelles,
Comme une strophe ardente et faite d’étincelles,
L’immense hymne étoilé qu’on appelle le ciel.
Pan, le grand Tout fatal ou providentiel,
T’accepte stupéfait comme on accepte un rêve.
Aldebaran ! clarté de l’insondable grève,
Tu n’es pas seulement, dans les gouffres vermeils,
Un de ces inconnus que nous nommons soleils,
Tu n’as pas seulement, comme le kéroubime,
Une face splendide et sombre sur l’abîme,
Ô spectre, ô vision, tu n’es pas seulement
Au fond du ciel sinistre un éblouissement ;
Ta merveille, c’est d’être une roue inouïe
De lumière, à jamais dans l’ombre épanouie,