Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/378

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Qui, l’hiver, fait Paris plus noir qu’une forêt,
Un bruit rauque pareil au bruit qui sortirait
De quelque panoplie énorme des ténèbres ;
Il eût senti l’horreur frémir dans ses vertèbres,
Et sa langue à la nuit bégayer des aveux,
(Qui n’a pas son remords secret ?) et ses cheveux
Se dresser, et ses dents se heurter dans sa bouche ;
Car sur le piédestal où, dans le vent farouche,
Les nuages semblaient d’en haut la saluer,
La statue, ô terreur ! venait de remuer.

Rien, pas même l’airain, pour jamais ne s’arrête.

Le roi tourna la bride et le cheval la tête.

Le terre-plein frémit ; de longs mouvements sourds
Ébranlèrent les toits, les églises, les tours,
Et les portails sacrés que les siècles vénèrent.

Les muscles monstrueux du bronze frissonnèrent,
La croupe tressaillit, le pied toujours levé
Qui laisse l’herbe croître aux fentes du pavé
S’abaissa, l’autre pied scellé dans l’architrave
Se leva ; le colosse inclina son front grave,
Le destrier, ployant ses jarrets de métal,
Horrible, s’approcha du bord du piédestal,
— Visions où jamais un œil humain ne plonge ! ―
Et, comme par la rampe invisible d’un songe,
La statue à pas lents du socle descendit.

Alors l’âpre ruelle au nom fauve et maudit,
L’échoppe, la maison, l’hôtel, le bouge obscène,
Les mille toits mirant leurs angles dans la Seine,
Les obscurs carrefours où, le jour, en tous sens,
Court l’hésitation confuse des passants,
Les enseignes pendant aux crocs de fer des portes,
Les palais crénelés comme des villes fortes,