Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/379

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Le chaland aux anneaux des berges retenu,
S’étonnèrent devant ce cimier inconnu
Dont aucun ouragan n’eût remué la plume,
Entendirent le sol tinter comme une enclume
Et, tandis qu’au fronton des tours l’heure étouffait
Sa voix, n’osant sonner au cadran stupéfait,
Virent, dans l’épaisseur des ténèbres accrues,
Droit, paisible et glacé, s’avancer dans les rues,
Accompagné d’un bruit funèbre et souterrain,
L’homme de bronze assis sur le cheval d’airain.

L’eau triste frissonnait sous la rondeur de l’arche.



Horreur prodigieuse ! une statue en marche !

La lourdeur de cette ombre étonne le pavé.
Elle glisse, elle va, morne, le front levé,
Avec une roideur de cadavre, et sa forme
Inflexible résiste au vent du gouffre énorme.
L’affreux ordre nocturne en est bouleversé.
Après que cette chose effroyable a passé,
Sous les plafonds glacés où les cercueils séjournent,
Les squelettes hagards dans leur lit se retournent
Et disent à la nuit funeste qui ne sait
Que leur répondre : ô nuit, qu’est-ce donc qui passait ?
Si l’œil pouvait plonger dans ces hideux royaumes
Et percer le mystère, on verrait les fantômes,
Frissonnants, éviter le lugubre inconnu.
Larve dont le regard sans pâlir soutenu
Fait toute la grandeur de don Juan athée !
Spectre où s’ébrécherait l’épée épouvantée,
Et qu’en l’osant toucher la main sentirait froid !