Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
N’est-ce pas plutôt Prométhée, vainqueur du vautour ?

Les Quatre vents de l’Esprit nous versent la vie à pleins bords. Hugo a mis l’infini en volume, la tempête et la sérénité, les étoiles et les gouffres, les tremblements de terre et les tremblements de ciel.

… Il y avait, au temps où j’allais chaque année en Allemagne, un homme fort digne qui se tenait devant la source de Schwalheim.

Quand vous arriviez, il prenait un verre de cristal, le remplissait de l’eau pétillante qui avait les feux du diamant et la fraîcheur d’un glacier, et vous la donnait à goûter.

Puis il disait d’un ton admiratif :

— Toute la source est comme cela !

Ainsi dirai-je au lecteur après lui avoir offert une coupe de Victor Hugo 1881.


Le Moniteur universel.
Paul de Saint-Victor.

Le Livre satirique égale les Châtiments par la puissance de la pensée et l’éclat acéré du style. Mais la colère s’est visiblement adoucie, la corde de fer s’est détendue sans s’amollir ; une philosophie supérieure apaise l’indignation et quelquefois l’attendrit. Dans les Châtiments c’était l’Érinnye, lancée, d’un vol de feu, sur les coupables d’un crime et d’un règne, les prenant chacun corps à corps pour les marquer de sa torche et les flétrir de son fouet vengeur.

Ici, c’est l’Euménide, sévère et redoutable encore, mais accessible au pardon et à la pitié, planant dans une sphère supérieure, d’où le méchant, apparaissant confondu avec le mal même, obtient les circonstances atténuantes de sa triste fatalité… Le Livre lyrique est un enchantement perpétuel : mélodies et mélancolies, voix de la pensée et murmures du rêve, épanchements intarissables du cœur, élans éperdus de l’âme vers l’impénétrable Infini. Ces poèmes, nés dans l’exil, sont attristés de sa teinte ; sur leurs pages les plus rayonnantes, l’idée de la France absente projette sa grande ombre… Ce long exil, que Victor Hugo a subi d’un cœur si hautement inflexible, quelques pages du Livre lyrique nous en donnent le journal intime : tristesses sans doute, regrets déchirants de la patrie perdue, souvenirs en larmes des nids vides et des tombeaux délaissés : mais aussi joies profondes du devoir fidèlement accepte, approbation de la conscience satisfaite, paix de l’âme contente d’elle-même et qu’aucune tempête du sort ne saurait troubler… Un seul morceau remplit le Livre épique : la Révolution ; mais la Légende des Siècles n’a rien qui dépasse ce poème prodigieux, c’est la vision d’une Apocalypse historique.

… L’exécution est un prodige d’imagination et de style. Cette cavalcade nocturne à travers Paris frappe d’une place de ténèbres la marche machinale et retentissante des trois chevaux sculptés sur les pavés émus, l’immobilité des chevaucheurs rigides fendant les rues sombres, les horreurs de la nuit et les apparitions de l’histoire accompagnant vaguement leur groupe sépulcral, la grandeur et la terreur des vers qui l’évoquent, pareils, eux aussi, à des colosses submergés par l’ombre, l’inépuisable crescendo de leur lugubre harmonie, tout cela compose un tableau d’une inexprimable épouvante. La grandeur dans le fantastique ne saurait aller au delà.


Nous terminons cette revue de la critique par quelques appréciations sur les Deux Trouvailles de Gallus. Nous les avons groupées et mises en relief parce qu’à l’époque où parurent les Quatre vents de l’Esprit, le livre dramatique eut un grand retentissement. C’était comme la révélation d’un théâtre nouveau de Victor Hugo. On ne connaissait que ses grands drames ; on fut ébloui par cette verve étincelante, séduit par cet esprit charmant, surpris par cette ironie d’une touche si légère, et profondément remué par le dénouement terrible et imprévu. Les auteurs et les critiques dramatiques d’alors jugeaient que cette pièce en deux parties se prêtait merveilleusement à la scène tant elle était conduite avec art, avec une habileté consommée, une savante gradation des effets, et ils ne comprendraient guère aujourd’hui que cette pièce, toute remplie de belle humeur, de grâce, d’émotion, n’eût pas encore tenté le directeur d’un de nos grands théâtres, soucieux