Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/64

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Faire de l’échafaud, menaçante bâtisse,
Un autel à bénir le progrès nouveau-né,
Ô vivants, c’est démence ; et qu’aurez-vous gagné
Quand, d’un culte de mort lamentables ministres,
Vous aurez marié ces infirmes sinistres,
La justice boiteuse et l’aveugle anankè ?

Le glaive toujours cherche un but toujours manqué ;
La palme, cette flamme aux fleurs étincelantes,
Faite d’azur, frémit devant des mains sanglantes,
Et recule et s’enfuit, sensitive des cieux !
La colère assouvie a le front soucieux.
Quant à moi, tu le sais, nuit calme où je respire,
J’aurais là, sous mes pieds, mon ennemi, le pire,
Caïn juge, Judas pontife, Satan roi,
Que j’ouvrirais ma porte et dirais : Sauve-toi !

Non, l’élargissement des mornes cimetières
N’est pas le but. Marchons, reculons les frontières
De la vie ! Ô mon siècle, allons toujours plus haut !
Grandissons !

Grandissons ! Qu’est-ce donc qu’il nous veut, l’échafaud,
Cette charpente spectre accoutumée aux foules,
Cet îlot noir qu’assiège et que bat de ses houles
La multitude aux flots inquiets et mouvants,
Ce sépulcre qui vient attaquer les vivants,
Et qui, sur les palais ainsi que sur les bouges,
Surgit, levant un glaive au bout de ses bras rouges ?
Mystère qui se livre aux carrefours, morceau
De la tombe qui vient tremper dans le ruisseau,
Bravant le jour, le bruit, les cris ; bière effrontée
Qui, féroce, cynique et lâche, semble athée !
Ô spectacle exécré dans les plus repoussants,
Une mort qui se fait coudoyer aux passants,
Qui permet qu’un crieur hors de l’ombre la tire !
Une mort qui n’a pas l’épouvante du rire,