Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Voici que l’on approche, dit le petit homme, l’œil fixé sur la lumière qui croissait de plus en plus. — Compagnon Friend, laisse-moi seul un instant. — Hé ! dehors !

Le monstre obéissant s’élança vers la porte, descendit à reculons les marches extérieures, et disparut, emportant dans sa gueule sa proie dégouttante, avec un hurlement de satisfaction.

Au même instant, un homme assez grand se présenta à l’issue de la galerie, dont les profondeurs sinueuses reflétaient encore une lumière vague. Il était enveloppé d’un long manteau brun, et portait une lanterne sourde, dont il dirigea le foyer lumineux droit au visage du petit homme.

Celui-ci, toujours assis sur sa pierre et les bras croisés, s’écria :

— Sois le mal venu, toi qui viens ici amené par une pensée et non par un instinct !

Mais l’étranger, sans répondre, paraissait le considérer attentivement.

— Regarde-moi, poursuivit-il en dressant la tête, tu n’auras peut-être pas dans une heure un souffle de voix pour te vanter de m’avoir vu.

Le nouveau venu, en promenant sa lumière sur toute la personne du petit homme, paraissait plus surpris encore qu’effrayé.

— Eh bien, de quoi t’étonnes-tu ? reprit le petit homme avec un rire pareil au bruit d’un crâne qu’on brise ; j’ai des bras et des jambes ainsi que toi. Seulement mes membres ne seront pas, ainsi que les tiens, la pâture des chatpards et des corbeaux.

L’étranger répondit enfin d’une voix basse, quoique assurée, et comme s’il craignait seulement d’être entendu du dehors.

— Écoutez, je ne viens pas en ennemi, mais en ami…

L’autre l’interrompit :

— Pourquoi alors n’as-tu pas dépouillé ta forme d’homme ?

— Mon intention est de vous rendre service, si vous êtes celui que je cherche.

— C’est-à-dire de tirer un service de moi. Homme, tu perds tes pas. Je ne sais rendre de service qu’à ceux qui sont las de la vie.

— À vos paroles, répondit l’étranger, je vous reconnais bien pour l’homme qu’il me faut ; mais votre taille… Han d’Islande est un géant ; ce ne peut être vous.

— C’est la première fois qu’on en doute devant moi.

— Quoi ! ce serait vous ! — Et l’étranger se rapprochait du petit homme. — Mais on dit que Han d’Islande est d’une stature colossale ?

— Ajoute ma renommée à ma taille, et tu me verras plus haut que l’Hécla.

— Vraiment ! Répondez-moi, je vous prie ; vous êtes bien Han, natif de Klipstadur, en Islande ?