Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/201

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— Ce n’est point avec des paroles que je réponds à cette question, dit le petit homme en se levant ; et le regard qu’il lança sur l’imprudent étranger le fit reculer de trois pas.

— Bornez-vous, de grâce, à la résoudre avec ce regard, répondit-il d’une voix presque suppliante et en jetant vers le seuil de la galerie un coup d’œil où se peignait le regret de l’avoir franchi. Ce sont vos seuls intérêts qui me conduisent ici.

En entrant dans la salle, le nouveau-venu, n’ayant fait qu’entrevoir celui qu’il abordait, avait pu conserver quelque sang-froid ; mais quand l’hôte d’Arbar se fut levé, avec son visage de tigre, ses membres ramassés, ses épaules sanglantes, à peine couvertes d’une peau encore fraîche, ses grandes mains armées d’ongles, et son regard flamboyant, l’aventureux étranger avait frémi, comme un voyageur ignorant, qui croit caresser une anguille et se sent piquer par une vipère.

— Mes intérêts ? reprit le monstre. Viens-tu donc me donner avis qu’il y a quelque source à empoisonner, quelque village à incendier, ou quelque arquebusier de Munckholm à égorger ?

— Peut-être. — Écoutez. Les mineurs de Norvège se révoltent. Vous savez combien de désastres amène une révolte.

— Oui, le meurtre, le viol, le sacrilège, l’incendie, le pillage.

— Je vous offre tout cela.

Le petit homme se mit à rire.

— Je n’ai pas besoin que tu me l’offres pour le prendre.

Le ricanement féroce qui accompagnait ces paroles fit de nouveau tressaillir l’étranger. Il continua néanmoins :

— Je vous propose, au nom des mineurs, le commandement de l’insurrection.

Le petit homme resta un moment silencieux. Tout à coup sa physionomie sombre prit une expression de malice infernale.

— Est-ce bien en leur nom que tu me le proposes ? dit-il.

Cette question sembla déconcerter le nouveau-venu ; mais, sûr d’être inconnu de son redoutable interlocuteur, il se remit aisément.

— Pourquoi les mineurs se révoltent-ils ? demanda celui-ci.

— Pour s’affranchir des charges de la tutelle royale.

— N’est-ce que pour cela ? repartit l’autre avec le même ton railleur.

— Ils veulent aussi délivrer le prisonnier de Munckholm.

— Est-ce là le seul but de ce mouvement ? répéta le petit homme avec cet accent qui déconcertait l’étranger.

— Je n’en connais point d’autre, balbutia ce dernier.

— Ah ! tu n’en connais point d’autre !