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BUG-JARGAL.

— Quinze jours pour faire un roman ! dit Malitourne, pour le trouver et pour l’écrire ! C’est de l’enfantillage !

— J’aurai fini dans quinze jours, insista Victor.

— Allons donc !

— Je parie.

— Eh bien, un dîner pour tous.

— Un dîner pour tous, soit.

Le 15 au matin, tous les convives du Banquet littéraire reçurent un mot de Victor les avertissant qu’il avait terminé sa nouvelle, et que ceux qui voudraient l’entendre n’avaient qu’à se trouver le soir, à huit heures, chez Gilé[1].

Tous y coururent, et Victor lut Bug-Jargal. Malitourne avoua qu’il avait perdu. Les autres, d’une seule voix, déclarèrent que cela valait mieux qu’un dîner et qu’ils en devaient chacun un.

Abel s’exécuta le premier — et le dernier. Les autres manquaient d’argent pour suivre son exemple, et de temps pour faire leur part du livre[2]. »

Bug-Jargal n’était alors qu’une nouvelle qui parut, en 1820, avec l’initiale M, dans le Conservateur littéraire, une revue bi-mensuelle fondée par Abel et Victor Hugo.

En 1825, Victor Hugo reprit sa nouvelle, il la remania, la développa et la récrivit en grande partie ; ce fut alors un véritable roman qu’Urbain Canel publia en 1826 avec cette simple indication : Bug-Jargal, par l’auteur de Han d’Islande.

Le Drapeau blanc, dans son numéro du 13 mars, donnait la nouvelle suivante :

Sa Majesté a daigné faire prendre pour sa bibliothèque particulière vingt-cinq exemplaires de Bug-Jargal, par M. Victor Hugo. La première édition de ce roman, tirée à un très grand nombre d’exemplaires, est sur le point d’être épuisée. La deuxième paraîtra la semaine prochaine.

L’anonymat était donc trahi, d’ailleurs Victor Hugo ne prenait pas trop de précautions, car on lit dans une lettre qu’il adressa à Lamartine le 25 mai :

Je vous ai écrit, il y a déjà quelques temps, en vous envoyant un nouveau roman que je viens de publier et qui s’appelle Bug-Jargal. Mais vous n’étiez sans doute plus à Florence quand ma longue lettre y sera parvenue[3].

Dans la nouvelle édition chez Gosselin et chez Bossange, Victor Hugo signa son volume.

En 1832, Renduel avait fait, comme nous l’avons dit précédemment, un traité pour des réimpressions parmi lesquelles figurait Bug-Jargal, dont le tirage était réduit à 750 exemplaires ; pour les autres volumes, le tirage était fixé à 1 000 exemplaires.

Victor Hugo, dans une courte préface, rappelait qu’il avait seize ans quand il aborda cet immense sujet : la révolte des noirs de Saint-Domingue en 1791 ; il aimait à « donner un souvenir à cette époque de sérénité, d’audace et de confiance » quand il touchait à d’aussi gros problèmes. Mais ce que nous devons retenir surtout, c’est que ce tout jeune homme était déjà pris d’une immense commisération, d’une profonde tendresse pour les déshérités et les persécutés. Ce fut là son honneur quand il n’était encore qu’un collégien ; ce fut la gloire de toute sa vie.

  1. Gilé, imprimeur.
  2. Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie.
  3. Correspondance.