Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/99

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jours j’aurai tout éclairci ; alors vous saurez tout ce que je saurai. Je vais repartir ce soir.

— Comment ! s’écria le vieillard, tu ne me donneras encore que quelques heures ! Mais où vas-tu ? pourquoi pars-tu, mon cher fils ?

— Vous m’avez quelquefois permis, mon noble père, de faire une action louable en secret.

— Oui, mon brave Ordener ; mais tu pars sans trop savoir pourquoi, et tu sais quelle grande affaire te demande.

— Mon père m’a laissé un mois de réflexion, je le consacre aux intérêts d’un autre. Bonne action donne bon conseil. D’ailleurs à mon retour nous verrons.

— Quoi ! reprit le général d’un ton de sollicitude, ce mariage te déplairait-il ? on dit Ulrique d’Ahlefeld si belle ! dis-moi, l’as-tu vue ?

— Je crois qu’oui, dit Ordener ; il me semble qu’elle est belle, en effet.

— Eh bien ? reprit le gouverneur.

— Eh bien, dit Ordener, elle ne sera pas ma femme.

Ce mot froid et décisif frappa le général comme un coup violent. Les soupçons de l’orgueilleuse comtesse lui revinrent à l’esprit.

— Ordener, dit-il en hochant la tête, je devrais être sage, car j’ai été pécheur. Eh bien, je suis un vieux fou ! Ordener ! le prisonnier a une fille…

— Oh ! s’écria le jeune homme, général, je voulais vous en parler. Je vous demande, mon père, votre protection pour cette faible et opprimée jeune fille.

— En vérité, dit gravement le gouverneur, tes instances sont vives.

Ordener revint un peu à lui.

— Et comment ne le seraient-elles pas pour une pauvre prisonnière à laquelle on veut arracher la vie, et, ce qui est bien plus précieux, l’honneur ?

— La vie ! l’honneur ! mais c’est moi pourtant qui gouverne ici, et j’ignore toutes ces horreurs ! Explique-toi.

— Mon noble père, la vie du prisonnier et de sa fille sans défense est menacée par un infernal complot.

— Mais ce que tu avances est grave ; quelle preuve en as-tu ?

— Le fils aîné d’une puissante famille est en ce moment à Munckholm ; il y est pour séduire la comtesse Éthel. Il me l’a dit lui-même.

Le général recula de trois pas.

— Dieu, Dieu ! pauvre jeune abandonnée ! Ordener, Ordener ! Éthel et Schumacker sont sous ma protection. Quel est le misérable ? quelle est la famille ?