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LES MISÉRABLES. — MARIUS.

Aucune adresse n’était jointe à la signature. Marius espéra trouver l’adresse dans la deuxième lettre dont la suscription portait : à Madame, madame la contesse de Montvernet, rue Cassette, n° 9.

Voici ce que Marius y lut :

« Madame la contesse,

« C’est une malhereusse meré de famille de six enfants dont le dernier n’a que huit mois. Moi malade depuis ma dernière couche, abandonnée de mon mari depuis cinq mois n’aiyant aucune ressource au monde dans la plus affreuse indigance.

« Dans l’espoir de Madame la contesse, elle a l’honneur d’être, madame, avec un profond respect,

« Femme Balizard. »

Marius passa à la troisième lettre, qui était comme les précédentes une supplique ; on y lisait :

« Monsieur Pabourgeot, électeur, négociant bonnetier en gros, rue Saint-Denis au coin de la rue aux Fers.

« Je me permets de vous adresser cette lettre pour vous prier de m’accorder la faveur prétieuse de vos simpaties et de vous intéresser à un homme de lettres qui vient d’envoyer un drame au théâtre-français. Le sujet en est historique, et l’action se passe en Auvergne du temps de l’empire. Le style, je crois, en est naturel, laconique, et peut avoir quelque mérite. Il y a des couplets a chanter en quatre endroits. Le comique, le sérieux, l’imprévu, s’y mêlent à la variété des caractères et à une teinte de romantisme répandue légèrement dans toute l’intrigue qui marche mistérieusement, et va, par des péripessies frappantes, se dénouer au milieu de plusieurs coups de scènes éclatants.

« Mon but principal est de satisfère le désir qui anime progresivement l’homme de notre siècle, c’est à dire, LA MODE, cette caprisieuse et bizarre girouette qui change presque à chaque nouveau vent.

« Malgré ces qualités j’ai lieu de craindre que la jalousie, l’égoïsme des auteurs privilégiiés, obtienne mon exclusion du théâtre, car je n’ignore pas les déboires dont on abreuve les nouveaux venus.

« Monsieur Pabourgeot, votre juste réputation de protecteur éclairé des gants de lettres m’enhardit à vous envoyer ma fille qui vous exposera notre situation indigante, manquant de pain et de feu dans cette saison d’hyver. Vous dire que je vous prie d’agréer l’hommage que je désire vous faire de