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LES MISÉRABLES. — MARIUS.

Après avoir lu ces quatre lettres, Marius ne se trouva pas beaucoup plus avancé qu’auparavant.

D’abord aucun des signataires ne donnait son adresse.

Ensuite elles semblaient venir de quatre individus différents, don Alvarès, la femme Balizard, le poëte Genflot et l’artiste dramatique Fabantou, mais ces lettres offraient ceci d’étrange qu’elles étaient écrites toutes quatre de la même écriture.

Que conclure de là, sinon qu’elles venaient de la même personne ?

En outre, et cela rendait la conjecture encore plus vraisemblable, le papier, grossier et jauni, était le même pour les quatre, l’odeur de tabac était la même, et, quoiqu’on eût évidemment cherché à varier le style, les mêmes fautes d’orthographe s’y reproduisaient avec une tranquillité profonde, et l’homme de lettres Genflot n’en était pas plus exempt que le capitaine espanol.

S’évertuer à deviner ce petit mystère était peine inutile. Si ce n’eût pas été une trouvaille, cela eût eu l’air d’une mystification. Marius était trop triste pour bien prendre même une plaisanterie du hasard et pour se prêter au jeu que paraissait vouloir jouer avec lui le pavé de la rue. Il lui semblait qu’il était à colin-maillard entre ces quatre lettres qui se moquaient de lui. Rien n’indiquait d’ailleurs que ces lettres appartinssent aux jeunes filles que Marius avait rencontrées sur le boulevard. Après tout, c’étaient des paperasses évidemment sans aucune valeur.

Marius les remit dans l’enveloppe, jeta le tout dans un coin, et se coucha.

Vers sept heures du matin, il venait de se lever et de déjeuner, et il essayait de se mettre au travail lorsqu’on frappa doucement à sa porte.

Comme il ne possédait rien, il n’ôtait jamais sa clef, si ce n’est quelquefois, fort rarement, lorsqu’il travaillait à quelque travail pressé. Du reste, même absent, il laissait sa clef à sa serrure. — On vous volera, disait mame Bougon. — Quoi ? disait Marius. — Le fait est pourtant qu’un jour on lui avait volé une vieille paire de bottes, au grand triomphe de mame Bougon.

On frappa un second coup, très doux comme le premier.

— Entrez, dit Marius.

La porte s’ouvrit.

— Qu’est-ce que vous voulez, mame Bougon ? reprit Marius sans quitter des yeux les livres et les manuscrits qu’il avait sur sa table.

Une voix, qui n’était pas celle de mame Bougon, répondit :

— Pardon, monsieur…

C’était une voix sourde, cassée, étranglée, éraillée, une voix de vieux homme enroué d’eau-de-vie et de rogomme.

Marius se tourna vivement, et vit une jeune fille.