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LE MANUSCRIT DES MISÉRABLES.

venait à y demeurer, qui viendrait vous chercher là ? Mais comment s’y faire admettre ? Problème sérieux. Le père Fauchelevent l’aborda de front. En trois jours, ce pauvre paysan picard, sans autre échelle que son dévouement, sa bonne volonté, et un peu de cette vieille finesse campagnarde mise cette fois au service d’une action honnête, tourna, gravit et surmonta les impossibilités du cloître et les rudes escarpements de la règle de saint-Benoît. Il dit à Jean Valjean, qu’il ne connaissait toujours que sous le nom de M. Madeleine : laissez-moi faire. Il commença par lui recommander de ne point sortir pendant le jour de la baraque qu’il habitait, laquelle avait du moins cet avantage que, comme elle était au fond du jardin, dans un pli du mur derrière la ruine, et que les religieuses n’en approchaient jamais, Jean Valjean, que personne n’avait vu entrer dans le couvent, aurait pu y rester caché six mois sans qu’on s’en doutât. Puis le vieux jardinier demanda à parler à madame la prieure. Fauchelevent avait réussi dans la communauté. Il était régulier et silencieux et ne sortait que fort rarement, et seulement pour les nécessités démontrées du verger ou du potager. Tout cela lui était compté, et les mères vocales avaient confiance en lui. Il parla à madame la prieure de ses infirmités, de son grand âge, et qu’il avait un frère point jeune qui, si on le voulait bien, pourrait venir loger avec lui et l’aider, et que ce frère avait une petite fille qui s’élèverait en Dieu dans la maison, et, qui sait ? ferait une religieuse un jour ; qu’autrement, si l’on n’admettait point son frère et sa nièce, se sentant trop cassé et trop faible pour la besogne, lui Fauchelevent, il serait obligé de s’en aller. On tenait à lui. La prieure et les mères s’assemblèrent en conseil. Bref, un soir, Jean Valjean, grâce à une petite porte qu’on voit de la rue, qui est au fond de la cour à droite et qui communique au jardin, sortit avec Cosette pendant que Fauchelevent occupait l’attention du portier, puis rentra presque tout de suite et Rit introduit officiellement dans le parloir par le portier qui, comme dit le vieux paysan jardinier, « n’y vit que du bleu ». La prieure, qui était cette excellente madame de Bèze, mère Sainte-Marie, questionna Jean Valjean et Cosette. Une heure après, Jean Valjean était régulièrement installé, comme aide-jardinier, dans la baraque de Fauchelevent et avait au genou la genouillère de cuir et le grelot.


Ici le texte rejoint le chapitre x : Clôture, écrit en 1847 et maintenu intégralement.