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V

les vieux sont faits pour sortir à propos.

Le soir venu, Jean Valjean sortit ; Cosette s’habilla. Elle arrangea ses cheveux de la manière qui lui allait le mieux, et elle mit une robe dont le corsage, qui avait reçu un coup de ciseau de trop, et qui, par cette échancrure, laissait voir la naissance du cou, était, comme disent les jeunes filles, « un peu indécent ». Ce n’était pas le moins du monde indécent, mais c’était plus joli qu’autrement. Elle fit toute cette toilette sans savoir pourquoi.

Voulait-elle sortir ? non.

Attendait-elle une visite ? non.

À la brune, elle descendit au jardin. Toussaint était occupée à sa cuisine qui donnait sur l’arrière-cour.

Elle se mit à marcher sous les branches, les écartant de temps en temps avec la main, parce qu’il y en avait de très basses.

Elle arriva ainsi au banc.

La pierre y était restée.

Elle s’assit, et posa sa douce main blanche sur cette pierre comme si elle voulait la caresser et la remercier.

Tout à coup, elle eut cette impression indéfinissable qu’on éprouve, même sans voir, lorsqu’on a quelqu’un debout derrière soi.

Elle tourna la tête et se dressa.

C’était lui.

Il était tête nue. Il paraissait pâle et amaigri. On distinguait à peine son vêtement noir. Le crépuscule blêmissait son beau front et couvrait ses yeux de ténèbres. Il avait, sous un voile d’incomparable douceur, quelque chose de la mort et de la nuit. Son visage était éclairé par la clarté du jour qui se meurt et par la pensée d’une âme qui s’en va.

Il semblait que ce n’était pas encore le fantôme et que ce n’était déjà plus l’homme.

Son chapeau était jeté à quelques pas dans les broussailles.

Cosette, prête à défaillir, ne poussa pas un cri. Elle reculait lentement, car elle se sentait attirée. Lui ne bougeait point. À je ne sais quoi d’ineffable et de triste qui l’enveloppait, elle sentait le regard de ses yeux qu’elle ne voyait pas.

Cosette, en reculant, rencontra un arbre et s’y adossa. Sans cet arbre, elle fût tombée.