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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

Ce parti, de quelque manière qu’on le jugeât d’ailleurs, avait une grande physionomie. Il était peu nombreux, mais dense, compact, solide, plein d’unité, quoique pénétré d’anarchie[1]. Il pensait comme une foule et marchait comme un homme.

Sincère, loyal, vibrant, habituellement injuste avec un éternel fond d’équité[2] ; indifférent, presque ennemi, aux lettres et aux arts, c’est-à-dire à ce qui fait la puissance la plus durable et la plus humaine des peuples 5 mettant sur la même ligne la probité et l’austérité, ce qui est une erreur, car l’excès est possible à l’austérité et ne l’est pas à la probité ; pas assez indigné des abominables fureurs de 93 ; faisant parfois la faute d’admirer Brutus plus que Caton et Marat plus que Brutus ; faisant aussi l’autre faute non moins grave de se montrer haineux aux supériorités naturelles autant qu’aux supériorités sociales ; fanatique dans le scepticisme universel, farouche au milieu de la douceur des mœurs ; ayant du reste d’admirables instincts et des lueurs magnanimes, profondément épris de toutes les grandeurs collectives de la France, déployant en toute occasion une témérité qui faisait à la fois sa gloire et sa perte ; assez héroïque dans le combat pour faire croire qu’il aurait pu être chevaleresque dans la victoire, le parti républicain faisait dans la nation un groupe extraordinaire.

Nous ne confondons pas avec le vrai et grand parti républicain une minorité imperceptible dans le parti même, qui exagérait les exagérations, faisait de l’horreur à froid, n’aimait dans la révolution que la terreur, et admirait la guillotine. Ce petit parti, dont il ne reste plus de trace aujourd’hui, voulait être formidable et parvint à être ridicule. Il se déclarait enfanté par la montagne ; soit. Nous eûmes la souris[3].

À l’heure où nous écrivons ces lignes, le pouvoir et la législation ont maîtrisé le parti républicain, mais, nous n’hésitons pas à le dire, nous sommes de ceux qui regrettent que la loi lui ait imposé silence. C’est à notre sens une injustice compliquée d’une maladresse. On ne fait jamais complètement taire une opinion. Si on la comprime du côté de la théorie, elle s’échappe du côté de la polémique. Son raisonnement demeure bâillonné, mais sa colère trouve moyen de prendre la parole[4].

Voici, sommairement, quelques-unes des objections que le parti libéral monarchique, par les voix d’ailleurs sincères de ceux qu’on pourrait appeler les théoriciens de la demi-révolution de 1830, opposait au parti républicain :

« Par suite de ce besoin de traditions qui est dans la nature humaine et que subissent même les partis les plus résolus à rompre avec le passé et les hommes les plus déterminés à ne point avoir d’aïeux, le parti républicain de 1831 s’est replacé sur le terrain de 92, de 93 et de 94, et s’est borné pour toute œuvre à proclamer de nouveau les généralités grandioses de la convention ; entre autres la fameuse déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Or, à notre sens, ce n’est plus la question.

« D’une part, ces grands documents qu’on pourrait appeler les actes héroïques de la pensée révolutionnaire ne sont ni oblitérés ni prescrits ; d’autre part, ils ne sont plus à l’ordre du jour immédiat.

  1. Note en regard : Dire les fractions.
  2. Note en regard : Parti Carrel.
  3. Ce dernier alinéa est de la main de Victor Hugo
  4. Ici deux pages écrites par Victor Hugo en exil reproduisent la copie faite en 1848. Les « objections du parti libéral » sont seulement guillemetées.