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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

la bordée de reproches du belge qui a été assez bon prince et a autorisé sans trop de maussaderie la mise en vente des Misérables un jour plus tôt qu’il ne voulait.

La librairie pour l’instant est morte, tout l’argent allant aux Misérables, et Michel Lévy, qui comptait faire paraître vendredi je ne sais quoi de Guizot, a ajourné. Les marchands d’images même se plaignent, ne pouvant rien écouler. Depuis vendredi on est occupé chez Claye à faire un nouveau tirage de 5,000 exemplaires des Misérables.

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Mme Édouard Bertin est venue me voir avant-hier… Elle m’a raconté son étonnement de l’article de Cuvillier-Fleury, qui lui avait parlé avec admiration des Misérables. Elle suppose, comme je l’avais moi-même supposé, que Cuvillier-Fleury a écrit sous quelque fâcheuse influence.


Victor Hugo terminait le 19 mai la révision de son roman et l’annonçait ainsi dans ses carnets :


19 mai. J’ai fini ce matin à six heures la révision totale des Misérables. Je m’étais remis au travail de la fin à Mont-Saint-Jean, le 22 mai 1861, il y aura un an dans trois jours.

20 mai. J’envoie aujourd’hui à Bruxelles la fin du manuscrit des Misérables. Cela arrivera le 22, un an, jour pour jour, après ma reprise du travail à Mont-Saint-Jean.


Le 19 mai, Verboeckhoven écrivait, de Bruxelles, à Victor Hugo :


M. Lacroix est toujours à Paris et nous annonce chaque jour que le succès des quatre nouveaux volumes va grandissant sans cesse. Je ne sais si je vous ai dit que les Débats font un éloge très grand et sans restriction du Petit-Picpus tout entier et admirent beaucoup ce livre du couvent.

L’opinion des gens de lettres est, unanimement,

que ces quatre volumes sont supérieurs aux deux premiers.


Lacroix rentre à Bruxelles le 23 mai au soir, en conquérant chargé de lauriers ; le voilà sacré grand éditeur. Ceux qui le connaissaient ont pu se représenter ce petit homme fluet arrivant dans sa maison et communiquant à son associé et jusqu’à son plus petit employé sa joie, son enthousiasme, arrêtant tous ceux qu’il rencontrait pour proclamer avec une éloquence trépidante et des gestes saccadés la grande victoire qu’il venait de remporter. Il écrit aussitôt à Victor Hugo, le 24 mai :


Je suis revenu de mon voyage à Paris, et j’étais hier dans le feu de la bataille assistant et participant à cet immense triomphe qui a accueilli Cosette et Marius. Ce n’était plus du succès seulement, c’était de l’enivrement de tout le public ; il y avait de la passion dans cette foule et vous êtes plus que jamais le grand maître dominateur de ce peuple de France — maître souverain par le génie. — En chaque pays d’ailleurs votre succès s’accroît et se développe. Pour être vrai, je dois faire mon meâ culpâ et déclarer que les chapitres Parenthèse et Petit-Picpus que je redoutais de voir se suivant en coupant si longtemps l’action, n’ont pas été généralement considérés au même point de vue, de l’impatience du drame, et ne sont pas les moins admirés. Tant mieux ! tant mieux ! Et que je suis heureux de la combinaison qui a permis au lecteur de goûter le charme infini de ces détails du couvent et la profondeur de vos réflexions philosophiques, sans le laisser sous l’impression d’un ralentissement d’action, l’action reprenant immédiatement au tome cinq. Réellement, cher et grand maître, les Misérables deviennent et sont même déjà le succès le plus éclatant de ce siècle et peut-être de toutes les littératures. Je n’ai que le temps de vous dire mon enthousiasme qui déborde, et sous cette impression je commence ce soir la lecture de la fin du manuscrit.


Lacroix pouvait faire tous les meâ culpâ. Ses critiques d’autrefois lui paraissaient si minces qu’il ne cherchait plus désormais qu’à les effacer, qu’à multiplier ses actes de contrition avec une reconnaissante humilité. Il vient de lire la cinquième partie. Il écrit, le 25 mai :


{{Taille|Ah ! je vous le dis, je vous le crie de toutes mes forces, cher, illustre et grand maître : vos Misérables, c’est l’œuvre la plus colossale qui