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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

êtes engagé ; votre refus nous fait grand dommage, notre position devient ridicule ; vous nous montrez de la méfiance ; nous avons acheté un droit, vous ne nous donnez pas le moyen de le faire valoir, nous passons pour des dupeurs, etc.

Lacroix offrait deux formules : une déclaration formelle et très explicite, ou un traité reconnaissant la cession.

Victor Hugo choisit et envoya le 18 juin la déclaration, il en donne la raison : « Vous m’envoyez deux formules qui toutes deux vous conviennent, je prends celle qui n’a pas l’inconvénient de faire double traité». Il ajoutait que, selon lui, le vrai moyen de détruire la contrefaçon, c’était de la faire soi-même par une édition à bon marché.

En terminant, il ne lui cachait pas qu’il le trouvait « acide », et qu’il ne reconnaissait plus cette bonne et franche cordialité.

Lacroix fut un peu ému des remontrances d’ailleurs assez paternelles de Victor Hugo, d’autant plus ému qu’il ne tenait pas encore les Chansons des rues et des bois, dont il parle longuement dans sa réponse, mais tout d’abord il commence par se justifier :


J’ai bien reçu votre attestation de notre propriété. J’espère qu’elle pourra suffire, mais cependant je ne réponds de rien. C’est pour cela que je vous donnais deux formules. Je compte sur vous, cher maître, si cela était toutefois insuffisant. Vous me dites que ma lettre était acide, le reproche m’a peiné…

J’ai écrit sous l’influence des tourments que me faisaient éprouver les lettres que j’avais reçues le matin même et où divers contrats étaient menacés de rupture par défaut des moyens d’assurer la propriété et de lutter contre les contrefacteurs.


Quant à faire de la contrefaçon soi-même par le bon marché, Lacroix déclare que c’est impossible. Il y avait des contrefaçons à un franc le volume, soit dix francs l’ouvrage complet. Et le contrefacteur ne paye pas de droit d’auteur.

La déclaration ayant été jugée insuffisante par les tribunaux, Victor Hugo dut se résoudre à donner les procurations nécessaires pour se défendre.


Le 17 juin, Lacroix versait à la Banque nationale la somme de cinquante-cinq mille francs pour solde que Victor Hugo recevait le 19 juin.

Le 22 juin, Lacroix annonce que la fin des Misérables pourra être mise en vente le 28, mais que le 30, qui est un lundi, est préférable.


Le samedi est un horrible jour ; on a son travail, ses comptes de semaine, ses ouvriers à payer, on ne sort pas, on n’achète pas, on ne lit pas ; le dimanche, on se promène, on va à la campagne, on ne lit pas. Donc deux jours où le livre passerait avec trop peu de bruit. Prenons donc le 30. C’est d’autant mieux que cela permettra à M. Pagnerre, qui le désire, de faire tous ses paquets à l’avance, de préparer ses envois de province et de lâcher le tout en même temps, à la même heure, le lundi, c’est-à-dire de sauver au moins une partie au cas où l’éventualité se produirait. L’autre système exposerait trop de volumes dans ce cas.


Lacroix était presque convaincu que ces deux dernières parties des Misérables seraient saisies ; on se rappelle qu’il avait confié à Victor Hugo sa crainte que le gouvernement ne prît ombrage du livre : la Guerre entre quatre murs. Assurément il qualifiait de folie une interdiction, il affirmait même, pour se donner confiance, que l’on reculerait devant une mesure violente, mais il prenait toutes ses dispositions pour mettre en circulation le plus de volumes possible et sur le plus grand nombre de points possible, et il disait à Victor Hugo :


Vous serez d’accord, j’espère, et approuverez cette combinaison qui sert votre intérêt (le retentissement du livre) et notre intérêt (le salut du plus d’exemplaires possible et le temps de prendre des mesures de précaution).