Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/218

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TRICK.
Ne fût-ce que pour voir leur grimace au gibet !

Tu sais, nous aurions beau crier : Miséricorde !
On veut voir des pantins pendre au bout d’une corde.

GIRAFF.
Nous pendus ! innocents ! — Soyez tranquilles tous.

Que Charles deux revienne, il lui faudra des fous.
Nous sommes là. — Peut-il trouver fous dans le monde
Ayant fait de leur art étude plus profonde ?
Tels sont fous par instinct, nous par principes ! — Va,
Toujours de tout désastre un bouffon se sauva.
Pour vieillir sur la terre, où tout est de passage,
Il faut se faire fou : c’est encor le plus sage.

TRICK.
Au fait, Cromwell m’ennuie ! On dit Charles plus gai.
ELESPURU.
L’œil d’aigle du tyran est-il donc fatigué ?

Quoi ! c’est nous qui savons ce que lui-même ignore,
Et nous tenons le fil qu’il ne voit pas encore !
Nous, les fous de Cromwell !

GRAMADOCH.
Mal dit, Elespuru.
Nous sommes ses bouffons ; mais il est notre fou.

Il nous croit ses jouets ; pauvre homme ! il est le nôtre.
Nous dupe-t-il jamais par quelque patenôtre ?
Nous épouvante-t-il par ces éclats de voix.
Ou ces clins d’yeux dévots, qui font trembler des rois ?
Quand il vient de prier, de prêcher, de proscrire,
L’hypocrite peut-il nous regarder sans rire ?
Sa sourde politique et ses desseins profonds
Trompent le monde entier, hormis quatre bouffons.
Son règne, si funeste aux peuples qu’il secoue.
Est, vu de notre place, un sot drame qu’il joue.
Regardons. Nous allons voir passer sous nos yeux
Vingt acteurs, tour à tour calmes, tristes, joyeux ;
Nous, dans l’ombre, muets, spectateurs philosophes.
Applaudissons les coups, rions aux catastrophes.