Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 3.djvu/104

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Il lui sembla que, pour la première fois de sa vie, il venait de voir une femme.

Il fit tout de suite cette demi-chute de songer étrangement. Il faut prendre garde à la rêverie qui s’impose. La rêverie a le mystère et la subtilité d’une odeur. Elle est à la pensée ce que le parfum est à la tubéreuse. Elle est parfois la dilatation d’une idée vénéneuse, et elle a la pénétration d’une fumée. On peut s’empoisonner avec des rêveries comme avec des fleurs. Suicide enivrant, exquis et sinistre.

Le suicide de l’âme, c’est de penser mal. C’est là l’empoisonnement. La rêverie attire, enjôle, leurre, enlace, puis fait de vous son complice. Elle vous met de moitié dans les tricheries qu’elle fait à la conscience. Elle vous charme. Puis vous corrompt. On peut dire de la rêverie ce qu’on dit du jeu. On commence par être dupe, on finit par être fripon.

Gwynplaine songea.

Il n’avait jamais vu la Femme.

Il en avait vu l’ombre dans toutes les fem-