Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 3.djvu/319

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de la pensée, — ah ! c’était donc cela ! j’étais lord. Tout se découvre. Ah ! l’on m’a volé, trahi, perdu, déshérité, abandonné, assassiné ! le cadavre de ma destinée a flotté quinze ans sur la mer, et tout coup il a touché la terre, et il s’est dressé debout et vivant ! Je renais. Je nais ! Je sentais bien sous mes haillons palpiter autre chose qu’un misérable, et, quand je me tournais du côté des hommes, je sentais bien qu’ils étaient le troupeau, et que je n’étais pas le chien, mais le berger ! Pasteurs des peuples, conducteurs d’hommes, guides et maîtres, c’est là ce qu’étaient mes pères ; et ce qu’ils étaient, je le suis ! Je suis gentilhomme, et j’ai une épée ; je suis baron, et j’ai un casque ; je suis marquis, et j’ai un panache ; je suis pair, et j’ai une couronne. Ah ! l’on m’avait pris tout cela ! J’étais l’habitant de la lumière, et l’on m’avait fait l’habitant des ténèbres. Ceux qui avaient proscrit le père ont vendu l’enfant. Quand mon père a été mort, ils lui ont retiré de dessous la tête la pierre de l’exil qu’il avait pour oreiller,