Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 3.djvu/36

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voit le commencement et ne voit pas la fin. La coquette est une aveugle ; elle ne voit pas ses rides. Le savant est un aveugle ; il ne voit pas son ignorance. L’honnête homme est un aveugle ; il ne voit pas le coquin. Le coquin est un aveugle ; il ne voit pas Dieu. Dieu est un aveugle ; le jour où il a créé le monde, il n’a pas vu que le diable se fourrait dedans. Moi je suis un aveugle ; je parle, et je ne vois pas que vous êtes des sourds. Cette aveugle-ci, qui nous accompagne, est une prêtresse mystérieuse. Vesta lui eût confié son tison. Elle a dans le caractère des obscurités douces comme les hiatus qui s’ouvrent dans la laine d’un mouton. Je la crois fille de roi, sans l’affirmer. Une louable défiance est l’attribut du sage. Quant à moi, je ratiocine et je médicamente. Je pense et je panse. Chirurgus sum. Je guéris les fièvres, miasmes et pestes. Presque toutes nos phlegmasies et souffrances sont des exutoires, et, bien soignées, nous débarrassent gentiment d’autres maux qui seraient pires. Nonobstant, je ne vous conseille