Page:Hugo - Légende des siècles, Hachette, 1920, 1e série, volume 1.djvu/209

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L’avortement étant l’habitude de l’ombre. Il sortit à mi-corps de l’éternel décombre, Et, croisant ses deux bras, arrogant, ricanant, Cria dans l’infini : « Maître, à toi maintenant ! » Et ce fourbe, qui tend à Dieu même une embûche, Reprit : « Tu m’as donné l’éléphant et l’autruche, Et l’or pour dorer tout ; et ce qu’ont de plus beau Le chameau, le cheval, le lion, le taureau, Le tigre et l’antilope, et l’aigle et la couleuvre ; C’est mon tour de fournir la matière à ton œuvre ; Voici tout ce que j’ai. Je te le donne. Prends. » Dieu, pour qui les méchants mêmes sont transparents, Tendit sa grande main de lumière baignée Vers l’ombre, et le démon lui donna l’araignée.

Et Dieu prit l’araignée et la mit au milieu Du gouffre qui n’était pas encor le ciel bleu ; Et l’Esprit regarda la bête ; sa prunelle, Formidable, versait la lueur éternelle ; Le monstre, si petit qu’il semblait un point noir, Grossit alors, et fut soudain énorme à voir ; Et Dieu le regardait de son regard tranquille ; Une aube étrange erra sur cette forme vile ; L’affreux ventre devint un globe lumineux ; Et les pattes, changeant en sphères d’or leurs nœuds, S’allongèrent dans l’ombre en grands rayons de flamme ;